La Fin de Fausta
jours. C’est moi que Son Altesse a bien voulu désigner pour le remplacer… Au surplus, je vous ferai remarquer, monsieur, que la lettre de service que vous avez lue, et fort attentivement, soit dit sans reproche, ne mentionne aucun nom. Elle vous enjoint simplement d’obéir au porteur.
– C’est juste reconnut l’Espagnol. Et après une imperceptible hésitation :
– Je me mets, ainsi que mes hommes, à vos ordres, monsieur.
– Valvert sentit qu’il y avait comme une réticence en lui. L’Espagnol éprouvait de vagues soupçons qu’il eût été bien en peine de préciser, mais qui ne laissaient pas que le troubler quelque peu : méfiance instinctive qui, en somme, faisait honneur à son flair. Il ne voulut pas le brusquer. Et avec une grande courtoisie :
– Monsieur, dit-il, je suis bien votre serviteur. Et, en fait d’ordres, je n’ai que ceux de Son Altesse à vous transmettre, lesquels se résument à ceci : à compter de cet instant, la lourde responsabilité qui pesait sur vous passe sur moi. Vous pouvez considérer votre mission comme heureusement terminée et vous pouvez compter que Son Altesse ne manquera pas de vous témoigner, d’une manière éclatante, sa haute satisfaction pour l’habileté avec laquelle vous avez su amener jusqu’ici le précieux dépôt qui vous était confié.
A ces mots, la mine renfrognée de l’Espagnol s’illumina d’un large sourire. Le voyant sensible au compliment, Valvert l’acheva en le prenant par l’intérêt. Et avec un sourire entendu, gros de promesses :
– Et vous savez sans doute, monsieur, que Son Altesse se montre toujours d’une générosité plus que royale envers ceux qui la servent bien et intelligemment… comme vous venez de le faire.
Ayant tendu cet appât, Valvert l’observa du coin de l’œil pour juger de l’effet produit. Satisfait, comme si tout était dit, il acheva :
– Vous voudrez bien me faire l’honneur de m’accompagner jusqu’à la porte Saint-Honoré. Là, vous pourrez me quitter et conduire vos hommes… où vous savez.
L’Espagnol, dont les soupçons imprécis paraissaient momentanément écartés, s’inclina en signe d’obéissance. Ils se mirent en route, Valvert ayant à sa gauche celui qu’il pouvait considérer comme son lieutenant. Derrière eux, à quatre pas, raide, impassible, venait Landry Coquenard, qui se tenait prêt à tout. Derrière Landry, suivait la petite troupe. Et derrière cette troupe, halé par elle, le bateau, chargé de tonnelets, glissait lentement sur les flots calmes de la rivière, sous la conduite de deux mariniers taillés en hercules.
En route, Valvert, qui tenait à dissiper les derniers soupçons de l’hidalgo, s’il en avait encore, Valvert se mit à parler de Son Altesse la duchesse de Sorrientès. Il pouvait le faire sans crainte de commettre une erreur qui pouvait être fatale à son expédition, puisqu’il avait vécu quelque temps près d’elle, parmi ses familiers. Il put donc, sans en avoir l’air, donner des détails précis, rigoureusement exacts, citer des noms de personnages dont quelques-uns étaient connus de son interlocuteur et glisser sur ceux-là quelques précisions qui montraient jusqu’à l’évidence qu’il les connaissait fort bien. Et il eut la satisfaction de constater qu’il avait réussi à capter complètement la confiance du soupçonneux Espagnol.
Ils arrivèrent au château de la Chaussée, non loin duquel Valvert avait laissé son chariot vide. Landry Coquenard, le paysan qu’il avait amené, les deux mariniers et les cavaliers espagnols se mirent à l’œuvre. En moins d’une demi-heure, les tonnelets qui formaient le chargement du bateau furent enlevés et transportés sur le véhicule.
Les deux mariniers remontèrent sur leur bateau et s’éloignèrent à la rame. Valvert et l’Espagnol prirent la tête. Derrière eux, le véhicule, lourdement chargé maintenant, s’ébranla, conduit par le paysan à qui il appartenait, et surveillé de près par Landry Coquenard qui se tenait près du limonier. Les cavaliers espagnols fermaient la marche.
Au pas, la petite troupe s’en alla traverser la Seine à Neuilly, où se trouvait un pont de construction récente et qui n’était pas très solidement bâti, il faut croire, puisque, une vingtaine d’années plus tard, il devait s’écrouler en partie. A Neuilly, ils n’étaient plus qu’à une petite lieue de la porte Saint-Honoré. Pour franchir cette
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