La Fin de Pardaillan
acharnée que jamais. Et nul n’aurait pu dire alors comment elle se terminerait.
Or, au moment même où Valvert avertissait Roquetaille, Eynaus et Longval, qu’il n’avait pas l’intention de les tuer, à ce moment, il entrevit vaguement une forme monstrueuse, quelque chose comme une bête énorme, inconnue, se glisser entre les jambes de ses adversaires.
Et, tout à coup, des cris stridents partirent du groupe, entre les jambes duquel grouillait toujours cette chose informe. Ce furent les miaulements aigus du chat en colère, les aboiements furieux du dogue, les braiements de l’âne, les cris stridents du cochon qu’on saigne. En sorte qu’on pouvait se demander si toute une bande de ces animaux domestiques ne venait pas de se jeter inconsidérément entre les jambes des combattants plus effarés que quiconque. Car l’idée ne pouvait venir à personne qu’on se trouvait en présence d’une imitation, tant les cris étaient « nature ».
Cela dura un inappréciable instant. Soudain, Roquetaille poussa un cri de douleur. Il venait d’être cruellement mordu par la bête qui lui grouillait entre les jambes. Au même instant, il se sentit happé solidement aux chevilles, tiré avec une force irrésistible. Et il tomba à la renverse, sans comprendre ce qui lui arrivait.
Aussitôt, les cris du cochon, entremêlés du braiement de l’âne, éclatèrent plus violents que jamais. Aussitôt aussi, la bête mystérieuse qui se donnait tant de mouvement et poussait des cris si étourdissants, bondit sur l’épée que Roquetaille avait lâchée et s’en empara. Puis, brandissant cette épée, elle se redressa. Et Valvert reconnut que cette bête, qui ne cessait pas ses cris affolants, était un homme déguenillé, qu’il lui sembla vaguement reconnaître, sans pouvoir préciser où il l’avait déjà vu.
Cet homme, c’était Landry Coquenard.
Landry Coquenard avait eu soin de s’attaquer à un des deux ordinaires qui le traînaient la corde au cou, comme on traîne un vil bétail qu’on mène à l’abattoir. Il devait avoir la rancune solide. L’épée qu’il venait de conquérir à la main, il se redressa, et levant le pied, sans la moindre générosité, il le projeta à toute volée, han ! en plein dans la figure de Roquetaille, qui n’avait pas eu le temps de se relever, et qui n’y pensa plus, attendu qu’il s’évanouit du coup.
Son exploit accompli, Landry Coquenard vint se camper à côté de Valvert et d’une voix qui nasillait un peu, lança :
– Reste à deux, monsieur !… La partie est égale.
Et il accompagna ces mots d’une série de grognements sourds, qu’il interrompit soudain pour lancer les hihan ! sonores de l’âne.
Et cela s’était accompli en un espace de temps, qui n’avait peut-être pas duré deux secondes.
La partie était égale, en effet, car Landry Coquenard attaquait aussitôt son homme avec une fougue que tempérait la prudence de quelqu’un, qui paraît avoir une vénération toute particulière pour sa peau, avec, aussi, l’assurance de quelqu’un pour qui l’escrime française, italienne et espagnole n’a plus de secrets. Et toujours rancunier, comme par hasard, il s’était trouvé placé devant Longval.
Les choses ne traînèrent pas. En un clin d’œil, Eynaus reçut à l’épaule un coup de pointe qui l’envoya rejoindre ses trois compagnons sur le pavé. Au même instant, Landry Coquenard se fendait à fond en un coup droit savamment amené. Ce coup eut infailliblement envoyé Longval dans un monde que, sans savoir pourquoi, on prétend meilleur que celui-ci, si Valvert, à ce moment même, n’avait eu la malencontreuse idée de le pousser pour prendre sa place.
– Gueule de Belzébuth ! glapit Landry Coquenard navré, un coup que j’avais si bien préparé !
Et il recommanda :
– Ne le manquez pas, au moins, monsieur.
Non, Valvert ne le manqua pas : dans le même instant l’épée de Longval sauta, décrivit une parabole dans l’espace et alla tomber à dix pas de là.
Dans le même instant, Valvert fut sur lui.
– Va-t-en, dit-il.
Il ne dit pas autre chose. Et sa voix paraissait calme. Mais il montrait un visage si effrayant que Longval sentit un frisson d’épouvante le mordre à la nuque. Longval, qui était brave pourtant, crut sa dernière seconde venue. Longval eut peur, une peur affreuse, affolante. Il courba l’échine et s’enfuit, titubant comme un homme ivre, poursuivi par les huées de
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