La Fin de Pardaillan
la foule.
– Malheur de moi ! gémit Landry Coquenard sur un ton d’inexprimable reproche, je le tenais si bien !… Un coup droit superbe, monsieur, et qui l’eût tué roide !
– Je l’ai bien vu, ventrebleu, et c’est pour cela que j’ai détourné le coup, répliqua Valvert.
– Pourquoi ? s’effara Landry Coquenard. Pourquoi l’avez-vous laissé aller ?
– Parce que, expliqua simplement Valvert, ces trois-là appartiennent à quelqu’un à qui je n’ai pas voulu les enlever.
– Et qu’en fera-t-il ?
– Ce qu’il voudra, sourit Valvert.
Landry Coquenard eut une intraduisible grimace de dépit et marmonna avec un air de profonde dévotion :
– Monsieur saint Landry, faites que celui-là ait la bonne inspiration de leur mettre les tripes au vent, et je vous promets un cierge d’une livre !
Et il se signa plus dévotement encore. Ce qui était une manière de confirmer sa promesse.
q
Chapitre 9 OU L’ON VOIT ENCORE INTERVENIR LA DUCHESSE DE SORRIENTES
P eut-être Landry Coquenard en aurait-il dit davantage, car il paraissait assez bavard et quelque peu familier. Mais Odet de Valvert s’était retourné vers la petite bouquetière et s’était découvert aussi galamment, aussi respectueusement qu’il l’eût fait devant une très haute et très noble dame.
Brin de Muguet n’avait pas bougé. Elle avait assisté jusqu’à la fin à l’épique combat. Et elle n’avait montré d’émotion réelle que lorsqu’elle avait vu Valvert désarmé. Elle avait retrouvé son calme apparent aussitôt après. Elle était restée jusqu’à la fin. Seulement, chose étrange, elle avait fait un mouvement pour se retirer dès qu’elle avait vu que Valvert et Landry Coquenard n’avaient plus qu’un adversaire chacun devant eux. Elle avait fait même plusieurs pas.
Au bout de ces quelques pas, elle s’était arrêtée et, l’air très sérieux, elle s’était mise à réfléchir. Au bout d’un certain temps de réflexion, elle avait secoué la tête de l’air d’une personne qui dit non. Et elle avait fait demi-tour, elle était revenue sur ses pas. Lorsqu’elle vit que Valvert se retournait vers elle et se découvrait, ce fut elle qui parla la première.
– Soyez remercié, monsieur, et de tout mon cœur, pour votre généreuse intervention.
Et ceci qu’elle disait de sa voix si doucement musicale, était prononcé avec un air de dignité vraiment surprenant chez une fille de sa condition. Et, aussitôt après avoir adressé ce bref remerciement, elle s’inclina dans une gracieuse révérence et fit mine de se retirer.
Odet de Valvert, vraiment, eût été quelque peu en droit de se formaliser de l’espèce de sans-gêne avec lequel elle en usait avec lui, et de la désinvolture avec laquelle elle le quittait si vite. Mais il était trop ému. Il ne vit qu’une chose, c’est qu’elle s’en allait toute seule. Il s’inquiéta pour elle. Et rougissant comme une fille, prenant son courage à deux mains, il osa proposer :
– Mademoiselle, il n’est peut-être pas prudent à vous de vous en aller ainsi. Souffrez que j’aie l’honneur de vous escorter chez vous.
– Encore merci, monsieur, dit-elle en se retournant. Mais je n’ai plus rien à redouter maintenant, et je ne veux pas abuser de votre galanterie.
Ceci était accompagné d’un gracieux sourire destiné à faire passer le refus. C’était dit aussi sur un ton si ferme dans son irréprochable politesse qu’il n’était pas permis d’insister. Le pauvre Odet de Valvert s’inclina donc avec le plus profond respect. Elle lui fit une légère inclination de tête, lui adressa un nouveau sourire qui lui mit du soleil plein la tête et le cœur, et partit de son pas souple, et ferme en même temps, d’enfant de la rue.
Landry Coquenard, discrètement à l’écart, avait assisté à ce très bref entretien dont il n’avait pas perdu un mot. Et son œil rusé allait de la jeune fille au jeune homme, les étudiait avec une promptitude, une sûreté qui faisaient honneur à ses qualités d’observation.
– Il l’aime, il aime la fille de Concini ! se dit-il. Et rêveur :
– Il aime la fille de Concini qui lui veut la malemort et la lui voudra bien davantage encore après ce qui vient de se passer ici !… Concini qui aime sa fille, sans savoir que c’est sa fille, et qui, lorsqu’il est épris, se montre toujours plus férocement jaloux qu’un tigre !… Gueule de Belzébuth,
Weitere Kostenlose Bücher