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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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soeur occupe aujourd’hui. Les Juifs aimaient bien s’y réunir, ils étaient très liés entre eux : ils y ont passé des soirées et des soirées ! J’y allais souvent car notre jardin, où nous élevions des lapins, était attenant à la villa. En fait, j’y étais presque tous les jours. De là, on pouvait tout surveiller, et voir venir. Il y avait un petit chemin qui conduisait à la maison, et par l’arrière on pouvait fuir au plus vite s’il le fallait… C’est d’ailleurs de là qu’ils sont partis, nos amis juifs, quand les Allemands les ont traqués !
    — Tout cela était bien dangereux !
    — Oui, mais nous n’y pensions pas. Ils sont partis quand c’est devenu très sérieux. Un jour, Mme Radacz, la mère de Léa, est arrivée ici au comble de l’affolement. Elle nous a dit que les Allemands avaient fait une rafle au Malzieu, que tous les Juifs s’étaient sauvés et qu’elle-même avait fui comme elle avait pu. Elle venait me dire où elle allait se cacher avec les siens ; elle me demandait, pour les jours à venir, de lui porter des nouvelles. Ce que j’ai fait bien volontiers. Ils étaient partis se cacher au Vilard, un vieux manoir à trois kilomètres d’ici. Les Bromberg et d’autres familles s’y trouvaient aussi. Mais ils ne sont pas restés longtemps car la situation s’aggravait. Ils ont quitté le pays. M. Radacz est d’ailleurs passé voir mon père avant de partir pour lui demander de garder toutes les affaires qu’il ne pouvait pas emporter, et, pour le cas où il ne reviendrait pas, il lui en faisait cadeau. Nous avons cependant eu le bonheur de les voir revenir, lui et toute sa famille, à la fin de la guerre !»
     
    Je reviens sur la question des risques pris, du danger encouru :
    « Avez-vous eu peur, pendant toute cette période ?»
    René Raoul répond avec une grande douceur :
    « Dans ces moments-là, vous savez, on pense aux autres et on s’oublie soi-même : je crois que c’est pour ça qu’on n’a pas peur. »

50.
    Quand on pense aux autres, on s’oublie soi-même et on n’a pas peur  : voilà qui est simple – et juste. René Raoul ne manifeste pas de générosité envers autrui pour guérir ou surmonter sa peur, mais il oublie d’avoir peur parce qu’il se sent d’abord solidaire des autres. Comme Iréna Sendler, en Pologne.
    Ainsi, la peur – la principale excuse, le plus souvent, de notre non-engagement en faveur des individus en danger – disparaîtrait grâce à cet engagement même ? Mais qu’est-ce donc que la générosité ? «  Un désir par lequel un individu, à partir du seul commandement de la raison, s’efforce d’assister les autres hommes et d’établir entre eux et lui un lien d’amitié » .
    Spinoza comme Freud, plus tard, ne conçoivent pas un acte de générosité sans un désir de réciprocité. René Raoul aurait donc aidé les Juifs pour obtenir leur amitié, peut-être aussi leur amour ou encore d’autres avantages affectifs. Or, aussi bien chez le cordonnier du Malzieu que chez les autres Justes que j’ai rencontrés, je n’ai pu détecter, dans leur geste de solidarité envers les Juifs, aucune autre raison que la simple et banale bonté. À travers cette enquête, peut-être ai-je même découvert, en ces êtres modestes et pudiques, une catégorie humaine que nous cherchons souvent en vain : les hommes libres.
    Je suis donc impatient de rendre visite aux autres Justes de ce village fortifié. Jacqueline et Marc Monod me reçoivent avec chaleur et gentillesse, et tous deux se relaient, en vieux complices, dans la conversation. Assis dans de larges fauteuils, ils présentent l’image d’un couple uni et complice. L’évocation à laquelle nous nous livrons les unit davantage encore, semble-t-il, puisqu’elle les renvoie à la période de leur jeunesse en même temps qu’à la guerre. Jacqueline Monod joue de la main droite avec les grosses perles de son collier. Marc Monod, chauve, porte une fine moustache grise et offre un visage anguleux, à l’expression volontaire. Ses yeux pétillent derrière ses lunettes. Je sens à quel point ce couple de protestants, aujourd’hui comme à l’époque, est inentamable dans sa volonté de rectitude, de justice.
    « Mon père avait appris par un ami de Mende que le médecin du Malzieu, devenu veuf, voulait quitter le pays. Il y avait donc une possibilité pour un jeune médecin de s’installer. Je suis venu voir. C’était en février

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