La force du bien
», comme l’écrivait le philosophe américain R. W. Emerson.
31.
« Mon attitude, ainsi que celle de tous mes amis, était simple : nous ne pouvions admettre ce qui s’était produit, à savoir que les Allemands avaient occupé le Danemark sans rencontrer la moindre résistance. Et nous ne pouvions pas accepter la persécution des Juifs. Les Juifs étaient nos amis, ils étaient des Danois. Nous n’avions jamais eu le moindre problème avec eux. Il était évident que nous devions les aider ! L’organisation protestante à laquelle j’appartenais avait depuis longtemps conscience du danger qui les menaçait. »
Blonde, un petit foulard serré autour du cou, Henny Sundoe raconte l’action de son père et la sienne sans élever la voix ni forcer le ton. Pourtant, sous ce calme, sous cette maîtrise de soi, un feu véhément continue de couver. L’intensité du sentiment est là, qui brûle dans ce regard où passent des lueurs d’indignation et de révolte. Encore un être sur qui jamais la barbarie ne disposera de moyens de séduction. Une ardeur inflexible : voici la force de cette Danoise toute simple, qui n’hésitera pas à braver les forces d’occupation nazies.
À l’époque, en 1943, âgée de vingt-trois ans, elle a participé au sauvetage des Juifs en compagnie de son frère et de son père : celui-ci, au sein des autorités portuaires de Copenhague, avait sous sa responsabilité un bateau des services postaux de dix-neuf tonnes, dont elle conserve une maquette. Ce bateau s’appelait le Gerda III , et il a transporté plusieurs centaines de Juifs hors de portée des Allemands, jusqu’en Suède.
« D’abord, mon père a réussi à trouver un nouveau quai pour y amarrer le bateau. Ce quai, de l’autre côté de Copenhague, tout près de la place de Vilters, était bordé d’un entrepôt en face duquel est venu s’installer le Gerda III . Ma tâche était, à partir de dix heures du soir, d’aller chercher les Juifs, de les rassembler par groupes de vingt, vingt-cinq personnes et de les conduire jusqu’à l’entrepôt, où nous les cachions. De là, il leur fallait traverser le quai dans la nuit pour monter dans le bateau. La difficulté était qu’il fallait se glisser entre les va-et-vient de la patrouille allemande qui surveillait toutes les installations portuaires de Copenhague, sur ce quai comme sur les autres… Quand j’y repense, c’était incroyable, fantastique : on n’avait pas le droit de circuler la nuit à travers Copenhague, c’était interdit, et je l’ai fait toutes ces nuits-là au mépris du danger – avec une sorte d’angoisse, et avec fougue ! Cinq voyages chaque soir, et les Juifs que nous ramenions passaient la nuit dans le grenier de l’entrepôt, en guettant les instants favorables pour traverser le quai. Dans l’entrepôt, nous mettions à leur disposition de quoi manger et boire, et aussi des somnifères pour endormir les enfants, car il était essentiel qu’aucun bruit ne puisse être entendu par les soldats allemands qui patrouillaient au-dehors. Le bateau étant un bâtiment du service postal, il ne devait lever l’ancre qu’à sept heures du matin. Dès qu’il mettait son moteur en marche, les deux Allemands de service montaient à bord pour le contrôle des papiers, autorisations et documents officiels. Jamais ils n’ont eu l’idée de descendre dans la cale, où se trouvaient nos hôtes juifs. Il faut dire que l’équipage, chaque matin, offrait à boire aux deux soldats : ça trinquait ferme en discutant de la pluie et du beau temps… Puis les Allemands redescendaient à quai, et le bateau pouvait lever l’ancre et emmener nos amis hors de danger. Nous pensons avoir évacué entre six cents et sept cents Juifs danois sur le Gerda III . D’ailleurs, après leur sauvetage, il y en a eu d’autres : des réfugiés venant de Pologne, des résistants danois, des parachutistes anglais. Nous les avons tout aussi clandestinement évacués pour les déposer sur les côtes suédoises.
— Tout de même, vous n’avez pas eu peur durant toutes ces nuits – des nuits dangereuses, non ?
— Je pense que nous étions tous très nerveux, évidemment, et plutôt tendus. J’appréhendais toujours un peu ces promenades nocturnes et clandestines avec les familles juives dans les rues de Copenhague. Mais nous étions jeunes, nous avions des idéaux, nous estimions que nous avions une certaine tâche à accomplir. En pleine
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