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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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demande :
    « Vous étiez des catholiques très pratiquants ?
    — Oui, dit-elle en étouffant un sanglot. Mon père avait la foi. »
    Et j’apprends que son père, François Lançon, en compagnie de l’abbé Reuzé et de son ami Périllat, a été déporté à Auschwitz, puis transféré à Einsbrück, en Bavière, où ils ont trouvé la mort.
    « François a souffert aussi… », me confie-t-elle.
    Et cet « aussi » me bouleverse. Non, les miens n’étaient pas seuls dans leur souffrance, je le savais – mais je sais également qu’ils auraient tant aimé partager un peu de bonheur avec les autres.
    « Et si c’était à refaire ? lui demandé-je.
    — Je ne sais pas… Peut-être, oui. Vous savez, quand on devient âgé, on a moins d’allant, et on voit… on voit plus loin que quand on est jeune. Mon père, il avait cinquante ans quand il est mort, il était encore dans la force de l’âge ; ça a été dur, ça a été si dur pour lui… Enfin, si c’était à refaire, il faudrait bien. »
     
    Je considère l’étendue qui sépare la ferme de la ligne-frontière, au-delà des arbres. Par là, en foulant ce sol, un millier de Juifs sont passés. Je m’interroge sur ce «  enfin, si c’était à refaire, il faudrait bien  », de Thérèse Neury-Lançon. Pourquoi cette femme âgée, usée par le travail, cette paysanne, fille de paysan, croit-elle devoir quelque chose aux persécutés ?

38.
    Je longe la frontière suisse. Au loin, le soleil étincelle sur les cimes enneigées. Comme dans une nouvelle de Hemingway, et peut-être à cause d’elle, les chaînes des Alpes évoquent des éléphants blancs. Tout est calme, paisible. Or, pendant la guerre, de part et d’autre de la barrière rouge qui marque la frontière, deux armées se faisaient face. L’une était organisée, disciplinée, hiérarchisée – « à la manière suisse », me dira un autre Juste, René Nodot. Cette armée, dont la devise était : « La barque est pleine », interdisait alors l’accès à l’un des rares sanctuaires épargnés par l’occupation nazie en Europe. L’autre « armée » rassemblait des bénévoles, des anonymes, des sans-grade, avec pour seul mot de passe : C’est la vie que tu choisiras . Cette armée-là, cette véritable armée de l’ombre, a semé, tout au long de cette frontière franco-suisse, des relais clandestins, des lieux de rassemblement et de passage : Saint-Julien-en-Genevois, Douvaine, Ville-la-Grande, Végy, Jursy-en-Suisse, Saint-Cerques et, enfin, Colonges-sous-Salèves.
    J’y arrive au début de l’après-midi. La rue monte jusqu’à une petite place que borde un presbytère. Non loin, une vieille maison jouxte la fontaine que surmonte une croix. Un homme âgé, coiffé d’un béret, vient à ma rencontre. Comme s’il craignait que sa maigreur ne le ploie en deux, il s’appuie sur une grosse canne.
    Nous ne tardons pas à évoquer la Seconde Guerre mondiale et ses cortèges de persécutions.
    « Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment des hommes comme vous et moi ont-ils pu laisser faire ?»
    Gilbert Ceffa parle :
    « C’est notre éducation. Oui, notre éducation ! Aussi bien en France qu’en Suisse : à l’époque, disons-le, c’était une éducation antisémite. Pour les “ religieux ”, les Juifs étaient un peuple déicide. Pour les autres, des parasites économiques… Aussi, quand Vichy et les nazis ont raflé les Juifs en prétendant que c’était “ pour leur bien ”, pour les envoyer travailler dans des camps, tout le monde ou presque était plutôt satisfait. “ Bien fait pour leur gueule ! ” disait-on – même dans la presse suisse de gauche ! C’est ce qui explique, je pense, l’absence de réaction contre les lois antijuives de Vichy. C’est ce qui explique aussi l’indifférence quasi générale qui a suivi l’abrogation par Pétain et Laval, en août 1940, de la loi Marchandeau condamnant toute incitation à la haine raciale. À partir de ce moment, la haine officielle a entretenu et même renforcé cette hostilité envers les Juifs que nous avions héritée de notre studieuse enfance… »
     
    Avec raison, Gilbert Ceffa pose d’emblée le problème de l’éducation. Celle-ci a joué un rôle si important dans les choix que les hommes de cette époque ont dû effectuer : « J’ai été éduquée avec l’idée qu’il fallait tendre la main à celui qui coule », dit la Polonaise Iréna Sendler ; et

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