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La force du bien

La force du bien

Titel: La force du bien Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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le sol suisse, il fallait un visa qui s’avérait fort long et difficile à obtenir.
    En 1942, la Suisse définissait ainsi son attitude : elle déclarait que les réfugiés pour motifs raciaux ne pouvaient pas être considérés comme des réfugiés politiques… Elle admettait cependant quelques exceptions : les femmes enceintes, les personnes de plus de soixante-cinq ans, les enfants de moins de seize ans, et ceux qui avaient de la famille en Suisse. Les déserteurs et réfugiés politiques étaient donc admis, mais tous les clandestins et en particulier les « réfugiés raciaux » – les Juifs, donc – se voyaient refoulés… C’est ainsi que, dans la deuxième moitié de l’année 1942, 8146 personnes ont été autorisées à pénétrer en Suisse, tandis que 1056 étaient refoulées. En 1943, il y eut 13 452 admis contre 3343 refoulés. Il n’était donc pas simple d’avoir accès à la très neutre Confédération helvétique…
    Gilbert Ceffa n’ignorait pas les difficultés qu’il y avait à vaincre pour que des persécutés puissent trouver un havre de paix dans cette Suisse qui, par tradition, savait se soustraire aux horreurs guerrières. En tant que résistant, sa principale mission consistait à franchir, et à faire franchir, cette frontière…
    « Au début de la guerre, dit-il, j’avais dix-huit ans. Je secondais l’abbé Gaston Desclouds, une force de la nature : on l’avait surnommé “ Abraham ”… Son presbytère de Thônex, compte tenu de sa situation géographique favorable, est vite devenu un lieu de transit pour la Résistance française. J’ai alors fait passer des centaines de résistants de la France vers la Suisse… Mais je n’ai pas eu l’occasion de faire passer beaucoup de Juifs – rien que deux ! Et aujourd’hui j’ai un peu honte. J’aurais peut-être pu en passer plus… »
    Gilbert Ceffa se tait, assailli par des pensées qui, cinquante ans après les faits, ne cessent de le troubler. Il explique :
    « Quand le général Pierre de Bénouville, l’un des chefs de la Résistance française, nous a demandé de réserver nos activités de sauvetage aux seuls résistants, sans nous occuper des Juifs parce que, disait-il, “ ils n’étaient pas réellement en danger ”, seul parmi nous le révérend père Louis Favre a protesté en déclarant : “ Je suis au service de ceux qui souffrent comme de ceux qui se battent. ” Mais il était bien seul… »
     
    Quant à Gilbert Ceffa, lui, il est trop modeste. Le réseau auquel il appartenait a sauvé des centaines d’enfants. Les paroisses installées à la frontière franco-suisse ont joué un rôle essentiel dans des opérations qui n’étaient pas sans danger. L’abbé Maurice Jolivet, curé de Colonges-sous-Salèves, a été fusillé par les Allemands, et l’abbé Jean Reuzé, curé de Douvaine, est mort en déportation à Bergen-Belsen. Il faut noter ici la dimension oecuménique de cette action, puisque ce réseau, qui comprenait beaucoup de catholiques et de prêtres, était en contact permanent avec des organisations protestantes comme la CIMADE, et avec la filière lyonnaise de René Nodot.
     
    Je quitte Gilbert Ceffa, mais non les parages immédiats de la frontière franco-suisse, pour aller rendre visite, côté français, à un autre de ces passeurs qui, jadis, ont permis à tant de malheureux d’échapper au pire en les faisant passer d’un pays dans l’autre.
    Raymond Boccard est un religieux, un catholique : tout le monde, dans cet institut qu’il n’a pas quitté depuis la période d’avant-guerre, l’appelle avec affection « frère Raymond ». C’est un homme très âgé, fragile, presque diaphane. Il a l’ouïe fatiguée, la voix frêle, mais l’oeil et l’esprit qui pétillent d’une espèce de joie perpétuelle. Par moments, il me fait penser à un lutin malicieux et farceur, qui se réjouit encore, cinquante ans après, d’avoir su berner les Allemands. L’institut auquel il appartient jouxte au plus près la frontière : de l’autre côté de la fenêtre de l’une des façades, c’est la Suisse, au bout du jardin, à partir du muret de pierre, c’est encore la Suisse – lieu idéal, donc, pour faire passer des réfugiés. Des centaines de Juifs ont traversé ce jardin, escaladé ce mur, franchi le ruisseau du Foron et les barbelés qui s’interposaient encore, ultimes et minces obstacles avant la liberté.
    « Que faisiez-vous pendant la guerre,

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