La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
fragment de souvenir, un écho du passé, quelque chose qu'il lui avait dit le vendredi 6 juillet, peut-être bien en ce même lieu. Ce n'étaient que trois mots infiniment pressants, répétés à deux reprises: Ć'est en moi. C'est en moi. ª
Brusquement, la frayeur qui frémissait en elle explosa littéralement. Le paysage parut se métamorphoser en une menace monstrueuse à laquelle elle ne pouvait donner de nom. Elle revint vers la route d'un pas rapide. Dom l'appela et elle se mit à courir.
Elle ne put parler qu'une fois dans la voiture, les portières bien fermées et le ventilateur soufflant de l'air chaud sur son visage glacé. D'une voix brisée, elle lui parla de la menace sans nom qu'elle avait ressentie sur cette parcelle de terrain d'apparence si ordinaire et du souvenir des trois mots prononcés avec insis-
tance.
´ "C'est en moi", dit-il d'un air pensif. Vous êtes certaine que c'est bien une chose que je vous ai dite ce soir-là ?
-Oui, fit-elle en frissonnant.
-C'est en moi... qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?
-Je n'en sais rien, mais ça me fait peur. ª
Il demeura un instant silencieux.
Óui, à moi aussi, ça me fait peur. ª
Le soir, au motel, Ginger eut l'impression de participer à une réunion familiale organisée à l'occasion de Thanksgiving, par exemple. Malgré leurs difficultés évidentes, ils étaient tous de bonne humeur car, à l'ins-tar de ce que devrait être une vraie famille, chacun puisait sa force dans l'autre. Ils se réunirent tous les six dans la cuisine et préparèrent ensemble à dîner, ce qui permit à Ginger de mieux connaître ses nouveaux amis.
Ned Sarver, cuisinier professionnel, se chargea de la préparation du plat de résistance, du poulet à la tomate et à la crème aigre. Ginger le prit tout d'abord pour un individu renfermé, peu aimable, mais elle changea bien vite d'opinion à son sujet. La taciturnité
pouvait parfois être le signe d'un ego sain ne récla-mant pas constamment des marques de gratification
-ce qui était le cas pour Ned.
Sandy et Ginger préparèrent des hors-d'oeuvre et des légumes et elles ne furent pas longues à se sentir comme deux soeurs.
Faye Block s'occupa du dessert, un g‚teau au chocolat qu'elle mit à décongeler. Ginger apprécia tout de suite Faye, qui lui rappelait Rita Hannaby. La femme de la grande bourgeoisie bostonienne était, bien s˚r, très différente de Faye par son physique et son comportement, mais elle partageait avec elle des qualités fondamentales: efficacité, responsabilité, force de caractère et douceur.
Ernie Block et Dom Corvaisis mirent la table. Ernie avait d'abord donné à Ginger l'impression d'être un peu ours, mais il lui inspirait maintenant une grande affection avec sa peur du noir qui le rendait semblable à un petit enfant.
Des cinq personnes en compagnie de qui Ginger se trouvait, seul Dominick Corvaisis suscitait en elle des sentiments auxquels elle ne comprenait rien.
Elle réalisait qu'un lien particulier les unissait et qu'il était en rapport avec une expérience qu'ils avaient été les seuls à vivre. Mais elle avait aussi pour lui une certaine attirance sexuelle. Lasse de ses aspirations romantiques, Ginger brida ses émotions et fit de son mieux pour se convaincre que les sentiments de Dom à son égard n'étaient en rien réciproques-bien que le contraire f˚t flagrant.
Pendant le dîner ils continuèrent à discuter tous les six de leur étrange situation et d'indices qui auraient pu leur échapper jusqu'ici.
Comme Dom, Ginger n'avait aucun souvenir d'une fuite de gaz toxiques, dont les Block et les Sarver se rappelaient en revanche parfaitement. La nationale 80
avait bel et bien été neutralisée et l'état d'urgence déclaré dans les environs. La veille, cependant, Dom avait convaincu les Block que leurs souvenirs d'évacuation dans le ranch de leurs amis Elroy et Nancy Jamison étaient artificiels et que les Jamison et eux-mêmes avaient certainement été retenus au motel.
(Selon Faye et Ernie, les Jamison n'avaient pas fait état de cauchemars ou de problèmes psychologiques. Leur lavage de cerveau avait mieux réussi mais il serait tout de même nécessaire de leur parler bientôt.) Ned et Sandy en avaient alors conclu, un peu à contrecoeur toutefois, que le souvenir de leur séjour forcé dans leur caravane était également faux et qu'ils avaient d˚, comme les quatre autres, être détenus dans une chambre du motel pour être
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