La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
d'habitude, fit-il avec un sourire, vous vous montrez très dure avec vous-même. Au début, je pensais que vous feriez mieux d'abandonner la chirurgie pour vous faire bouchère dans un supermarché, mais je sais aujourd'hui que vous y arriverez. ª
Elle s'efforça de lui rendre son sourire. Elle avait été plus que tendue. Elle avait été en proie à une peur noire et glacée qui aurait pu facilement la dominer.
C'était bien différent d'une tension normale. Cette peur était une chose qu'elle n'avait jamais éprouvée auparavant, une chose que George Hannaby n'avait jamais connue, pas même dans la salle d'opération. Si cela se poursuivait, si cette peur devenait sa compagne permanente... que se passerait-il alors ?
Il était dix heures et demie du soir. Elle lisait au lit quand le téléphone sonna. Si l'appel était survenu plus tôt, elle aurait été prise de panique et se serait immédiatement dit que Johnny O'Day n'avait pas survécu à l'opération. Elle n'avait cependant pas très envie de parler. ´ Désolée, moussiou, la madame VaÔsse pas à
la maison. Moi pas parler bien anglais. Rappelez en avril, j'y vous prie.
- Si c'est censé être un accent espagnol, c'est vraiment nul, dit George Hannaby. Si c'est asiatique, c'est encore pire. Remerciez le ciel d'avoir choisi la médecine plutôt que le thé‚tre.
- En tout cas, vous auriez fait un critique dramatique de tout premier ordre.
- C'est parce que j'ai le raffinement, la culture et l'impartialité d'un homme de go˚t. Bon, écoutez-moi à présent: j'ai de bonnes nouvelles. Je crois que vous êtes prête.
- Prête ? Pour quoi faire ?
-La grosse affaire. Une greffe de l'aorte, dit-il.
- Vous voulez dire que... je ne vous assisterai pas ?
Je ferai tout toute seule ?
-Seule et unique responsable.
- Une greffe de l'aorte ?
-Puisque je vous le dis. Vous ne vous êtes tout de même pas spécialisée en chirurgie cardio-vasculaire pour faire des appendicectomies jusqu'à la fin de vos jours, non ? ª
Elle s'était redressée dans son lit. Son coeur battait plus vite et ses joues avaient rosi. ´ quel jour ?
- La semaine prochaine. Il y a une patiente qui vient jeudi ou vendredi prochain. Elle s'appelle Fletcher. Nous pourrons étudier son dossier mercredi. Si tout va bien, nous pourrions nous décider pour lundi.
Bien entendu, c'est vous qui déciderez des derniers examens et donnerez le feu vert.
- Seigneur !
-Vous vous en tirerez parfaitement bien.
-Je voudrais vous y voir.
- Et puis, je vous assisterai... si vous sentez que vous avez besoin de moi.
- Et vous me reprendrez si je flanche ?
- Ne soyez pas stupide, vous ne flancherez pas. ª
Elle hésita un instant, puis dit: Ńon, je ne flanche-rai pas.
-Je vous reconnais. Vous pouvez faire tout ce que votre esprit vous dicte, vous le savez.
- Même aller à cheval sur la lune.
- quoi ?
- Oh, c'est une vieille plaisanterie...
- Ecoutez, je sais que vous avez été à deux doigts de céder à la panique cet après-midi, mais ne vous inquiétez pas. Tout le monde passe par là. C'est le trac, c'est tout. Vous aviez toujours été très froide, très concentrée, et je croyais que vous n'auriez jamais le trac.
Eh bien, c'est fait. Je suis s˚r que vous y pensez tou-
jours alors que, moi, je suis bien content que cela vous soit enfin arrivé. C'est une expérience irremplaçable.
L'important, c'est que vous ayez su vous dominer.
- Merci, George. En plus de critique dramatique vous feriez un super-entraîneur de base-ball. ª
Lorsque, quelques instants plus tard, ils conclurent leur conversation et raccrochèrent, elle se laissa retomber sur l'oreiller, les bras serrés contre elle, se sentant tellement bien qu'elle ne put se retenir de pouffer de rire. Puis elle se leva, et alla fouiller dans le placard jusqu'à ce qu'elle e˚t trouvé l'album de photos de la famille Weiss. Elle le ramena au lit et là, le feuilleta pendant un moment, s'arrêtant sur les photos de Jacob et d'Anna; car si elle ne pouvait plus partager ses victoires avec eux, elle avait besoin de sentir qu'ils étaient restés proches.
Un peu plus tard, dans la chambre plongée dans l'obscurité, alors qu'elle oscillait entre le sommeil et la veille, Ginger comprit enfin pourquoi elle avait eu peur cet après-midi. Elle n'avait pas eu le trac. Bien que n'ayant pu l'admettre jusqu'à présent, elle avait craint de se retrouver dans le même état que quinze jours auparavant, dans la boutique de Bernstein.
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