La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
fenêtre pour mieux observer la jeune femme. ´ Très bien... les aiguilles de l'horloge tournent à nouveau. Le temps va à rebours... il recule... il recule, jusqu'au jour o˘ vous avez été effrayée pour la première fois par une paire de gants noirs. Vous dérivez dans le temps, Ginger... vous dérivez... vous y êtes, à présent, à l'endroit précis, à l'instant précis o˘ les gants noirs se manifes-tent à vous. ª
Horrifiés, les yeux de Ginger fixaient un point de la pièce; ce n'était plus la charcuterie Bernstein qu'elle voyait, mais un autre lieu, en un autre temps. Pablo la regardait avec inquiétude. Ó˘ êtes-vous, Ginger ? ª
demanda-t-il. Comme elle demeurait silencieuse il reprit: ´ Vous devez me dire o˘ vous vous trouvez.
- Le visage, fit-elle d'une voix chevrotante. Le visage. Si lisse...
- Expliquez-vous, Ginger. quel visage ? Dites-moi ce que vous voyez.
- Les gants noirs... le visage de verre fumé.
- Comme celui du motard ?
- Les gants... la visière. ª Un spasme de terreur la parcourut des pieds à la tête.
Ćalmez-vous, détendez-vous. Vous êtes en sécurité.
En sécurité. Maintenant, o˘ que vous soyez, voyez-vous un homme portant un casque et une visière ? Des gants noirs ?
- Hin, hin, hin, hin... ª Elle ne répondit que par un gémissement effrayant qui se répéta plusieurs fois, comme une sourde incantation.
´ Ginger, vous devez être parfaitement détendue.
Rien ne peut vous faire de mal, vous êtes en sécurité. ª
Craignant de perdre bientôt tout contrôle sur elle et de devoir la sortir très vite de sa transe hypnotique, Pablo se rapprocha du fauteuil et s'agenouilla à côté
de Ginger. Il lui prit la main. ´ Ginger, vous m'entendez ? Vous avez remonté le temps. O˘ êtes-vous, Ginger ? quand êtes-vous ?
- Hin, hin, hiiiinnnnn. ª Elle poussa un cri pathétique, un écho du temps passé, la réponse à une terreur refoulée depuis longtemps.
La voix de Pablo se fit plus sévère. ´ J'ai la maîtrise absolue de votre personne, Ginger. Vous êtes plongée dans un profond sommeil et vous êtes sous mes ordres.
Ginger, j'exige que vous me répondiez. ª
Un nouveau spasme l'agita, plus fort que le précédent.
´ Je vous demande de me répondre. O˘ êtes-vous, Ginger ?
- Nulle part.
- O˘ êtes-vous ?
- Nulle... part. ª Tout à coup, elle cessa de trembler et se redressa dans son fauteuil. La terreur abandonna son visage, ses traits redevinrent lisses, détendus.
D'une voix blanche, lointaine, elle dit: ´ Morte.
- que voulez-vous dire ? Vous n'êtes pas morte.
- Morte, insista-t-elle, morte.
- Ginger ? Dites-moi o˘ vous vous trouvez et jusqu'o˘ vous êtes remontée dans le temps. Il faut me parler des gants noirs, de la première paire de gants noirs, ceux que vous ont rappelés les gants de cet homme dans le magasin. Il faut absolument me le dire.
- Morte. ª
Soudain, Pablo se rendit compte que sa respiration s'était ralentie. Il lui prit la main et fut étonné de la sentir si froide. Il appuya deux doigts sur son poignet: son pouls était lointain, très lointain. Affolé, il posa sa main sur la gorge de la jeune femme. Son coeur battait très doucement, très lentement.
Pour éviter de répondre à ses questions, elle semblait se retirer dans un sommeil bien plus profond que toute transe hypnotique, peut-être même dans le coma, dans un état d'oubli o˘ elle n'entendrait plus sa voix.
Il n'avait jamais assisté à semblable réaction. L'esprit opère des blocages autour des expériences traumatisantes, il le savait bien, mais à ce point... Se pouvait-il que Ginger voul˚t mourir pour échapper à ses questions ? Les blocages de mémoire édifiés autour d'expériences traumatisantes sont des choses courantes; les revues de psychologie qu'il lisait rapportaient parfois des exemples de ce genre de barrieres mentales, des barrières que l'on pouvait toutefois arriver à dé-manteler sans tuer le sujet. Aucune expérience ne pouvait être abominable au point qu'une personne préfér‚t mourir que d'en réveiller le souvenir. La fuite absolue... Sous ses doigts, Pablo sentit le pouls faiblir.
´ Ginger, écoutez-moi, dit-il d'une voix légèrement empreinte de panique. Vous n'avez pas à me répondre.
Je ne vous poserai plus de questions. Vous pouvez revenir, je ne vous demanderai plus rien. ª
Elle ne manifesta aucune réaction.
´ Ginger, écoutez-moi ! Il n'y aura plus de questions, c'est fini ! ª Il lui parut
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