La fuite du temps
nous autres
aussi, p'pa, répliqua Richard d'une voix assurée. Êtes-vous allé parler à son
chum? — J'en arrive. L'écoeurant était caché chez son frère et il m'a fait dire
qu'il était pas là. Son frère a l'air de le protéger.
— M'man m'a dit
qu'en plus, il lui devait de l'argent? — C'est pas ça le plus important,
trancha sèchement son père. Il faut qu'il répare. Il doit marier ta soeur.
Au même moment,
Jean-Louis entra dans l'appartement, heureux que sa semaine de travail à la
banque soit terminée. A la vue de l'air grave des siens assis autour de la
table de cuisine, son sourire s'effaça.
— Qu'est-ce qui
se passe? demanda-t-il, intrigué.
— Pas si fort,
lui ordonna sa mère. Ta soeur dort.
— Déjà? — Ben
oui. Je pense qu'on est aussi ben de lui dire, ajouta Laurette en se tournant
vers son mari.
— Un coup
parti...
— Me dire quoi?
demanda Jean-Louis, intrigué.
En quelques mots
entrecoupés de reniflements, sa mère lui raconta la catastrophe qui venait de
frapper leur famille.
Elle termina en
s'épongeant les yeux.
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— Ah! C'est pour
ça qu'elle pleurait tant, ne put s'empêcher de dire Jean-Louis.
— De quoi tu
parles? lui demanda son père.
Le caissier prit
un instant avant de lui répondre.
— Avant le
souper, j'étais assis avec Marthe Paradis au restaurant au coin de Frontenac
quand on l'a vue passer en pleurant. Marthe m'a dit d'aller la chercher.
— Puis? — Marthe
m'a demandé de les laisser toutes seules pour qu'elles puissent se parler. J'en
sais pas plus.
— Dis-moi pas,
bonyeu, que cette maudite sans-dessein là est allée raconter ça à une pure
étrangère! s'emporta soudain Laurette, les yeux flamboyants.
— Je le sais pas,
reconnut son fils. Marthe, en tout cas,
m'a rien dit
quand je l'ai vue à la banque tout à l'heure.
Il y eut un court
silence dans la pièce avant que Richard ne reprenne la parole.
— Vous avez pas
peur qu'il sacre son camp à soir, l'animal, et qu'on soit plus capable de lui
mettre la main dessus? demanda-t-il à la ronde sans sentir le besoin de
préciser de qui il parlait.
— Ce serait ben
dans sa façon de faire, laissa tomber sa mère.
— Je pense que
c'est pas plus tard qu'à soir qu'on devrait aller le chercher par la peau du
cou, cet écœurant là.
— Je viens de te
dire que j'arrive de chez son frère, répliqua son père avec impatience.
— Je le sais,
p'pa, mais vous étiez tout seul... Mais si on arrive en gang, ça va être une
autre paire de manches.
— En gang} —
J'appelle Gilles et Pierre. C'est sûr qu'ils vont accepter de venir nous donner
un coup de main s'ils sont pas déjà partis dans le Nord.
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— Whow! Je veux
pas que tout le monde soit au courant de ça, s'interposa aussitôt Laurette.
— Mais, m'man,
ils font partie de la famille. De toute façon, vous savez ben qu'ils vont finir
par l'apprendre un jour ou l'autre.
— Qu'est-ce que
t'en penses, Gérard? demanda-t-elle à son mari.
— Je le sais
plus, reconnut le père de famille, nettement dépassé par les événements.
— Moi aussi, je
vais y aller, annonça Jean-Louis, à la surprise de tous. Où est-ce qu'il reste?
— Sur Logan, murmura son père.
— Bon. Je les
appelle tout de suite, dit Richard en s'approchant du téléphone mural.
Il eut de la
chance. Son frère et son beau-frère étaient encore à la maison et n'avaient
prévu de partir pour NotreDame-
de-la-Merci que
le lendemain matin. Il refusa de donner des explications à l'un comme à
l'autre. Il se limita à déclarer qu'il les attendait chez ses parents, rue
Emmett, qu'il s'agissait d'une urgence et qu'il était préférable qu'ils
viennent sans leur femme.
Un peu après neuf
heures trente, Pierre Crevier et Gilles Morin entrèrent dans l'appartement,
intrigués par l'étrange demande de Richard. Ce dernier s'empressa de les mettre
au courant de la situation sans donner le temps à ses parents d'intervenir.
— Est-ce que vous
venez avec nous autres le chercher? finit par leur demander Richard. Jean-Louis
est prêt à venir avec moi.
— Certain,
déclarèrent en même temps les deux nouveaux arrivés en se levant. On y va tout
de suite, à part ça.
— C'est pas
nécessaire que vous veniez, p'pa, dit Gilles.
À quatre, on est
ben assez pour s'occuper de lui.
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