La fuite du temps

l'automne. Ça me
surprendrait pas mal qu'on me garde ici parce que la banque se sert de moi pour
remplacer à gauche et à droite. D'après moi, Jean-Louis a une bonne chance
d'être nommé à la place de Labrie. Il a l'âge et l'expérience pour devenir
moniteur. La banque s'est rendu compte que Neveu, qui était passé par
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    dessus
Jean-Louis, était pas capable de faire le travail. J'ai une amie au siège
social qui m'a dit qu'il vient d'être retourné comme caissier.
     
    Carole s'aperçut
alors que son frère débordait de fierté et qu'il lui avait sûrement fallu
déployer beaucoup d'efforts pour ne pas aborder le sujet à la maison.
     
    — Pourquoi t'en
as pas parlé? lui demanda-t-elle en se tournant vers lui.
     
    — Parce que je
suis pas encore moniteur. Quand j'aurai la job, je le ferai. J'aimerais mieux
que tu dises pas un mot là-dessus à la maison.
     
    — Inquiète-toi
pas, le rassura la jeune fille, amère.
     
    J'ai assez de mes
troubles sans m'occuper des affaires des autres.
     
    Tous les trois
pénétrèrent dans le restaurant Rialto et allèrent s'installer à une table
libre, près de l'une des vitrines.
     
    — Qu'est-ce que
vous prenez? demanda Marthe avec entrain.
     
    Ils optèrent tous
pour un morceau de tarte aux pommes et un café. Ils mangèrent en discutant à
bâtons rompus des nouvelles émissions télévisées que Radio-Canada annonçait à
grand renfort de publicité depuis quelques jours.
     
    — J'ai vu la
nouvelle bâtisse sur Dorchester où Radio-
    Canada vient
d'entrer, se vanta Jean-Louis. Ça a l'air pas mal beau.
     
    — Moi, ce qui
m'intéresse, c'est de savoir si leur programme Moi et Vautre avec Dominique
Michel et Denise Filiatrault va être aussi bon qu'ils le disent, reprit Marthe.
     
    Carole ne fit
aucun commentaire, insensible aux nouveautés automnales promises autant par
Radio-Canada que par Télé-Métropole. Le drame qu'elle vivait lui faisait
apparaître ces préoccupations comme bien légères.
     
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    — Je voudrais ben
trouver une nouvelle télévision pour voir le premier programme en couleurs que
le Canal 10
    promet pour cet
automne, reprit Jean-Louis en buvant une gorgée de café. Ça, ça va être ben
plus intéressant que n'importe quoi.
     
    La conversation
finit par tomber à plat parce que Carole ne semblait guère intéressée à y
participer. Elle en était encore à se demander pourquoi Marthe Paradis tenait
tant à lui parler quand cette dernière finit par aborder la raison de son
invitation à la rencontrer.
     
    — Je voudrais pas
me mêler de ce qui me regarde pas, finit par dire cette dernière d'une voix
hésitante, mais Jean-
    Louis m'a laissé
entendre que t'étais à la veille d'être obligée de partir de chez vous.
     
    Carole jeta un
regard de reproche à son frère.
     
    — Ben oui,
dit-il. C'est pas un secret pour Marthe.
     
    C'est toi-même
qui lui as dit que t'étais en famille et...
     
    — C'est correct,
le coupa-t-elle, avec une trace de mauvaise humeur dans la voix. C'est vrai,
ajouta-t-elle sèchement à l'intention de Marthe.
     
    Elle n'avait
absolument pas le goût de discuter de ses affaires ce soir-là. Ça ne regardait
personne.
     
    — As-tu une idée
où tu vas aller rester? lui demanda Marthe après avoir adressé un signe discret
à Jean-Louis lui signifiant de ne pas intervenir.
     
    — Oui.
     
    — Est-ce que t'as
trouvé un appartement? — Non. Ils sont trop chers, admit Carole à contrecoeur.
     
    J'ai trouvé une
chambre à louer que je veux aller voir demain soir.
     
    — Je voulais te
parler pour te proposer quelque chose, avança Marthe.
     
    — Quoi?
     
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    deuxième étage,
sur Saint-Denis, près de Rachel. J'ai une cuisine, un salon et deux belles
grandes chambres.
     
    — T'es ben
chanceuse, dit Carole d'une voix neutre.
     
    — Même si le
loyer est raisonnable, c'est pas mal trop grand pour moi. Ton frère m'a dit que
tu venais de te trouver de l'ouvrage sur la rue Bleury. C'est pas loin d'où je
demeure.

 
    Carole crut avoir
mal entendu et devint subitement plus attentive aux paroles de la monitrice.
Elle n'osait pas encore croire à ce qu'elle devinait.
     
    — Qu'est-ce que
tu dirais de venir rester avec moi? poursuivit Marthe Paradis. L'autobus passe
à la porte et tu serais pas trop loin de ta nouvelle job.
     
    Le coeur de la
jeune fille eut un raté. Elle ne s'était pas trompée. Elle lui proposait
d'aller demeurer chez elle...
     
    — Je le sais