La fuite du temps

dans des boîtes. J'ai pas grand-chose, mais je
peux pas les transporter en autobus.
     
    — Jean-Louis m'a
dit qu'un de tes frères avait des camions. Tu pourrais peut-être t'arranger
avec lui pour qu'il te déménage, suggéra Marthe.
     
    — Je vais lui en
parler.
     
    — En passant, il
y a quatre tablettes dans le frigidaire.
     
    Je vais prendre
les deux premières pour mes affaires et te laisser les deux dernières.
     
    — Ça va être
parfait. J'ai hâte de venir... Est-ce que je peux te poser une question?
demanda soudain Carole.
     
    — Bien sûr.
     
    — Pourquoi tu
m'invites à venir rester chez vous quand tu dis que ça fait cinq ans que tu
restes toute seule? — Parce que ça fait mon affaire, répondit évasivement
Marthe Paradis.
     
    — Est-ce que
c'est parce que t'as pitié de moi? — Pas du tout.
     
    Devant l'air
sceptique de la jeune fille, la monitrice finit par avouer ses motivations.
     
    — Écoute. On est
entre femmes. On peut se dire des affaires, pas vrai? — Certain.
     
    — Bon. C'est sûr
que j'ai pensé à t'offrir de venir rester avec moi parce que je savais que
t'étais mal prise. C'est correct. Mais j'ai une raison plus importante que ça: Jean-Louis.
     
    — Mon frère
Jean-Louis? — Oui, ton frère. Il m'intéresse. Je pense même que je l'aime.
     
    Carole prit alors
un air malheureux.
     
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    — Ton frère,
c'est le genre d'homme que je veux, avoua Marthe à voix basse.
     
    — Je sais pas si
tu le sais, Marthe, mais mon frère est jamais sorti avec une fille, même s'il a
déjà trente-
    deux ans.
     
    — Je le sais. Il
me l'a dit.
     
    — Ça t'inquiète
pas.
     
    — Non. Je suis
certaine que c'est parce qu'il est trop gêné avec les filles, dit Marthe
Paradis sur un ton assuré.
     
    C'est un bon gars
qui a pas de défaut. Il boit pas, il fume pas et il court pas les filles.
Qu'est-ce qu'une femme peut demander de plus? Il va finir par se dégeler et
j'ai décidé que c'était avec moi qu'il était pour sortir. On est déjà sortis
trois fois en amis depuis les noces de ton frère Gilles.
     
    Je sens que ça
s'en vient. Il est à la veille de me demander de sortir régulièrement avec lui.
     
    — Moi, je pense
que tu vas avoir ben de la misère à lui faire sortir une cenne de ses poches.
     
    — Inquiète-toi
pas. Quand il restera juste ça à régler, je vais y voir.
     
    — En tout cas,
j'espère pour toi que ça va marcher, dit Carole au moment de prendre congé.
     
    — T'as encore mon
numéro de téléphone? lui demanda Marthe.
     
    — Oui.
     
    — Quand tu seras
prête à t'en venir, donne-moi juste un coup de téléphone.
     
    — Je sens que je
vais être ben ici dedans, déclara une Carole rayonnante avant de partir.
     
    En rentrant à la
maison, à l'heure du dîner, Carole ne put éviter d'annoncer son prochain départ
à sa mère,
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    occupée à
réchauffer un reste de bouilli de légumes sur la cuisinière électrique.
     
    — M'man, je vais
déménager la semaine prochaine, lui dit-elle de but en blanc.
     
    — Quoi? — Je vais
partir la semaine prochaine.
     
    — Ça paraît pas
encore, laissa tomber Laurette. Tu peux rester un petit bout de temps, si tu
veux. Ton père dira rien.
     
    — J'ai trouvé une
place où rester. J'ai juste à aller m'acheter un set de chambre et je vais
demander à Richard s'il, peut déménager mes affaires.
     
    — Commence par
t'asseoir et manger quelque chose, lui ordonna sa mère avec une certaine
brusquerie.
     
    Devant
l'imminence du départ de sa fille, la mère de famille avait soudain le coeur
gros et beaucoup de mal à cacher son émotion. Carole, un peu excitée par la
nouvelle vie qui s'ouvrait devant elle, obéit tout de même à sa mère et mangea
avec appétit.
     
    — Où est-ce que
Jean-Louis est passé? demanda-t-elle à sa mère après avoir vidé son assiette.
     
    — Il est parti
s'acheter une chemise.
     
    — Vous mangez
pas, m'man? — Bonyeu! Comment tu veux que je mange pas de
    dents? explosa
Laurette, qui n'aurait jamais avoué que c'était l'émotion qui l'empêchait
d'avaler quoi que ce soit.
     
    — Vous pouvez
écraser les légumes dans le jus, m'man.
     
    — Laisse faire.
La semaine prochaine, je vais avoir enfin mes dentiers. Tu m'as pas dit où
t'allais rester, reprit-
    elle en se
servant une tasse de thé.
     
    — Sur
Saint-Denis, proche de Rachel.
     
    — Ça va te coûter
un bras dans ce coin-là, lui fit remarquer sa mère. Penses-tu être capable