La fuite du temps

hauteur le jeune homme.
     
    — T'as encore
rien trouvé? lui demanda Carole.
     
    — Pour en
trouver, j'en trouve, répliqua André Cyr en prenant un air avantageux. Les bons
tailleurs sont rares.
     
    Mais les boss
veulent pas payer. La semaine passée, j'aurais pu avoir une job chez deux Juifs,
sur Saint-Laurent. Quand j'ai vu qu'ils voulaient pas me payer le salaire que
je mérite, je les ai envoyés promener. Je travaillerai pas pour des peanuts, ça
c'est sûr.
     
    Carole réprima un
soupir de résignation. Depuis qu'elle connaissait le jeune homme, il avait été
incapable de conserver un emploi plus de deux semaines. A son avis, il était
réellement malchanceux. Chaque fois, le patron le congédiait parce qu'il était
jaloux de son talent ou parce qu'il refusait de donner à André le salaire qu'il
méritait.
     
    Heureusement, il
ne se décourageait pas et continuait à chercher. Par chance, son ami de coeur
demeurait chez son frère Ronald, sur la rue Logan, et il se consolait en
bichonnant son Oldsmobile rouge. Comment il parvenait
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    à en payer les traites?
C'était un mystère que la jeune fille n'était pas encore parvenue à élucider.
     
    Le couple mangea
un sandwich au poulet chaud et but une tasse de café dans un restaurant à demi
vide. Quand vint le temps de payer, le jeune homme explora son porte-
    monnaie pour en
tirer un billet de cinq dollars qu'il déposa avec un geste de grand seigneur
sur l'addition que la jeune serveuse venait de laisser sur le coin de la table
en formica.
     
    — Tu peux garder
le reste pour ton tip, lui dit-il en lui adressant un sourire charmeur.
     
    Carole attendit
que la jeune fille se soit éloignée pour lui chuchoter: — Sacrifice! T'es
riche, toi, pour lui donner une piastre de tip!
     
    — L'argent, c'est
fait pour rouler, répliqua André Cyr, insouciant. De toute façon, c'est mon
dernier cinq, poursuivit-il en repoussant une mèche de cheveux qui venait de
lui tomber dans l'oeil.
     
    — Ben, si t'as
pas d'argent, comment on va faire pour aller aux vues? — Si tu veux absolument
qu'on aille voir le film, je pense qu'il va falloir que tu payes pour nous
deux.
     
    Carole acquiesça
sans enthousiasme. C'était presque devenu une habitude. Encore une fois, son
amoureux s'arrangeait pour lui faire payer une partie, sinon la totalité, des
frais de leurs rares sorties. Ils quittèrent le restaurant.
     
    Le jeune homme
jeta un regard à sa montre avant de
    déclarer: — Bon.
On va aller chercher mon char. Je pense que la batterie a eu le temps de se
recharger.
     
    Ils marchèrent
jusqu'à la rue Logan. L'Oldsmobile était stationné devant une vieille maison en
brique de deux étages.
     
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    — Viens dire
bonjour à Lorraine et à Ronald, dit-il à son amie en l'entraînant vers
l'escalier qui conduisait au premier étage. On a le temps.
     
    Carole ne pouvait
refuser une telle invitation. Elle n'était venue que trois ou quatre fois chez
le frère et la belle-soeur d'André, mais elle les avait trouvés
particulièrement sympathiques et accueillants.
     
    André tira son
trousseau de clés de sa poche et ouvrit la porte d'entrée avant de s'effacer
pour la laisser passer devant lui.
     
    — Allô! C'est
nous autres! cria-t-il en refermant la porte derrière lui.
     
    Aucune réponse ne
vint de l'appartement qui semblait désert.
     
    — Bon. Où est-ce
qu'ils sont passés, eux autres? demanda-t-il en déboutonnant sa canadienne.
     
    Pendant ce temps,
Carole n'avait pas bougé du paillasson sur lequel elle se tenait. André retira
ses couvre-chaussures et partit explorer les pièces de l'appartement. Un
instant plus tard, il revint dans le couloir.
     
    — Eh ben! On
dirait qu'ils sont sortis, dit-il à Carole.
     
    Bon. Enlève ton
manteau et assis-toi dans le salon. Je vais aller faire réchauffer le char. Je
reviens dans une minute.
     
    Il remit ses
couvre-chaussures et s'empressa de sortir sans lui laisser le temps de lui dire
qu'elle aurait préféré l'accompagner. Elle retira ses bottes et son manteau
gris orné d'un petit col de fourrure et pénétra dans le salon. Un peu mal à
l'aise de se retrouver seule dans une maison étrangère en l'absence de ses
propriétaires, elle s'avança vers la fenêtre juste au moment où André sortait
de sa voiture et revenait vers la maison. Elle entendit le bruit de ses pas
dans l'escalier et la porte s'ouvrit.
     
    — Qu'est-ce qui
se passe? lui demanda-t-elle en s'avançant vers