La fuite du temps

lui.
     
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    — La batterie est
pas encore assez chargée pour faire tourner le moteur, répondit-il, l'air
dépité. Il va falloir attendre encore une couple de minutes. Assis-toi, reste
pas debout.
     
    — J'aime pas ben
ça être ici dedans pendant que ton frère et ta belle-soeur sont pas là, lui fit
remarquer Carole, nerveuse.
     
    — Voyons donc!
protesta son ami. Ils ont dû décider d'aller faire un tour chez la mère de
Lorraine. T'as pas à t'énerver. Tu mangeras pas leur set de salon. Tiens.
T'aimes ça, toi, les Sultans et Aznavour. Lorraine a acheté leurs derniers
disques la semaine passée.
     
    Sur ces mots, le
jeune homme enleva sa canadienne et se dirigea vers le combiné
téléviseur-tourne-disque installé dans un coin de la pièce. Il se pencha pour
sélectionner deux disques qu'il déposa sur le plateau. Aussitôt, la voix un peu
sirupeuse de Bruce Huard interprétant Va-t'en s'éleva dans la pièce.
     
    Le sourire aux
lèvres, André tendit la main à Carole pour l'inviter à danser. Elle ne résista
pas et quitta le divan où elle était assise. Il la serra tendrement contre lui
et se mit à peine à bouger, profitant de ce contact étroit pour la caresser
doucement. Il l'embrassa d'abord légèrement sur les lèvres avant de devenir
plus entreprenant.
     
    Carole, un peu
raide, le repoussa d'abord, puis, peu à peu, sa résistance faiblit devant son
insistance. Dès que la chanson prit fin, André lui chuchota à l'oreille: —
Écoute Aznavour. La Bohème, je pense que c'est sa plus belle chanson.
     
    Étourdie, elle se
serra un peu plus contre lui pendant que les mains de ce dernier se promenaient
sur son corps par-dessus ses vêtements. A un certain moment, il l'entraîna vers
le divan où il continua à l'embrasser. Dans un bref moment de lucidité, la
jeune fille se rendit compte que son
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    amoureux avait
déboutonné en grande partie son chemisier et ses caresses s'étaient faites de
plus en plus précises. Elle aurait voulu se lever et remettre de l'ordre dans
sa tenue, mais une étrange langueur s'était emparée d'elle. Tout à coup, plus
rien n'avait d'importance que le moment présent.
     
    — Il faudrait ben
y aller, murmura-t-elle sans grande conviction au moment où André la repoussait
sur le divan pour qu'elle s'y étende.
     
    — Tout à l'heure,
chuchota-t-il. Il y a rien qui presse.
     
    Aznavour en était
à sa quatrième ou cinquième chanson quand l'irréparable se produisit. Tout
devint confus. Les yeux fermés, Carole sentit le poids du corps de son
compagnon sur elle, puis elle poussa un cri de douleur en éprouvant une
intolérable sensation de brûlure. Avant même de réaliser ce qui venait de se
produire, tout était fini. André s'était relevé et un étrange silence venait
soudainement de tomber sur la pièce. Le tourne-disque s'était tu.
     
    Sans un mot, son
amoureux sortit de la pièce, la laissant seule avec son désarroi. Les larmes
aux yeux, elle se précipita vers les toilettes où elle demeura de longues
minutes tant pour se frotter longuement avec une serviette mouillée que pour
remettre de l'ordre dans ses vêtements. Il fallut qu'André vienne frapper à la
porte pour qu'elle quitte la torpeur qui l'avait gagnée.
     
    — Viens-tu,
Carole? Si on traîne trop, on va manquer le film.
     
    — J'arrive,
répondit-elle d'une petite voix où se mêlait la honte et le regret.
     
    Elle quitta les
toilettes et endossa son manteau que son ami lui tendait. Il était évident
qu'elle avait besoin d'une marque de réconfort, d'être rassurée, mais il ne fit
pas un geste en ce sens. Il se conduisit avec elle comme s'il ne s'était rien
produit. Ils quittèrent l'appartement et
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    s'engouffrèrent
dans l'Oldsmobile qui démarra à la première sollicitation.
     
    — Dans une
minute, il va faire chaud dans le char, dit André en réglant le chauffage.
     
    — Est-ce que tu
m'aimes? lui demanda Carole d'une voix un peu suppliante.
     
    — Ben oui,
répondit son amoureux sans y mettre trop de sentiment. Il me semble que je te
l'ai prouvé, non? La jeune fille dut se contenter de cette réponse. A aucun
moment, elle ne s'interrogea sur le fait que la voiture avait démarré aussi
facilement quand son propriétaire en avait eu besoin. L'idée d'être tombée dans
un piège ne lui vint même pas à l'esprit... du moins ce jour-là.
     
    Durant la
projection du film, elle fit l'impossible pour faire taire ses remords et
s'appuya amoureusement contre