La fuite du temps
heure.
Elle allait se
décider à envelopper les cadeaux qu'elle avait achetés lors de ses sorties des
deux samedis précédents quand on sonna à la porte. Elle eut alors la surprise
de découvrir Richard portant une grande boîte en carton.
Son fils entra et
se secoua sur le paillasson pour ne pas mettre de neige sur le parquet propre
de sa mère.
— Ma foi du bon
Dieu! Veux-tu ben me dire ce que tu fais dehors par un temps pareil? lui
demanda cette dernière.
— Même s'il
neige, m'man, la vie continue, lui répondit son fils cadet en enlevant ses
couvre-chaussures après l'avoir embrassée sur une joue.
— Naturellement,
tu continues à sortir avec rien sur la tête, lui reprocha-t-elle.
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— Vous m'avez
toujours dit que j'avais rien entre les deux oreilles, blagua son fils cadet.
Pourquoi je m'encombrerais d'un chapeau? — T'es ben drôle, répliqua sa mère. A
part ça, qu'est-ce que tu traînes dans cette boîte-là? — Ça? C'est une petite
surprise pour vous et p'pa.
Le jeune homme
retira son lourd manteau d'hiver, le suspendit au crochet, derrière la porte et
suivit sa mère dans la cuisine.
— Assis-toi, je
vais te faire une tasse de café.
Richard lui obéit
sans se faire prier et Laurette remarqua soudain que son fils portait
exceptionnellement une chemise blanche et une cravate.
— Tu m'as
toujours pas dit ce que tu fais dehors, habillé comme le dimanche, lui dit-elle
en déposant devant lui une tasse de café.
— J'arrive de
signer un nouveau contrat. Je vous ai pas dit ça, mais j'ai acheté un autre
truck avant-hier, — Maudit que tu vas vite! s'exclama sa mère. T'as pas peur
d'avoir les yeux plus grands que la panse, des fois? — Pantoute, m'man.
D'abord, c'est pas un truck neuf et j'ai déjà un contrat de la Ville pour qu'il
serve au déneigement tout l'hiver. J'ai même un autre bon chauffeur.
— C'est toi qui
le sais, dit Laurette, tout de même peu rassurée. Il me semble juste que tu vas
vite en affaires en verrat! Ça fait même pas un an que t'as lâché la compagnie
de tabac...
— Ayez pas peur,
je prends pas de chance. Je sais où je m'en vais. Ah! pendant que j'y pense,
ajouta son fils, j'ai rencontré un entrepreneur en démolition à matin quand je
suis allé signer mon contrat aux bureaux de la Ville. Le gars venait là pour la
même raison que moi. La seule différence, c'est qu'il a demandé que le contrat
pour ses deux trucks mis sur le déneigement dépasse pas le 15 mars.
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— Pourquoi?
demanda Laurette, d'une voix assez indifférente.
C'est presque sûr
qu'on va avoir encore un peu de neige après cette date-là.
— C'est ce que je
lui ai dit aussi, répliqua Richard.
Il m'a raconté
qu'un boss de la Dominion Oilcloth allait lui donner un gros contrat de
démolition à partir de cette date-là.
— Est-ce que ça
veut dire...? commença Laurette, soudain très inquiète.
— J'en ai ben
peur, m'man. De toute façon, vous le savez depuis le mois d'avril passé que la
compagnie va faire démolir la maison. Il va ben falloir qu'un jour ça se fasse,
cette affaire-là. Vous avez même pas de bail, c'est pas pour rien.
— Aïe! C'est pas
une bonne nouvelle que tu m'apportes là, se plaignit sa mère en s'allumant une
cigarette.
— Peut-être, mais
il y a rien qui dit qu'ils vont commencer par démolir les maisons de la rue
Emmett. Ils peuvent aussi ben se mettre à jeter à terre celles de la rue
Notre-Dame ou même les bâtisses de la compagnie. S'ils commencent par là, ça va
prendre un bon bout de temps avant d'arriver chez vous. Ça devrait vous donner
le temps de vous virer de bord avant d'être obligée de déménager.
— Ouais! fît
Laurette, peu consolée par cette perspective.
— Bon. On va
changer de sujet, si vous le voulez. Est-
ce que ça vous
tente de savoir ce qu'il y a dans ma grosse boîte? lui demanda son fils cadet
en se levant avec un air enjoué.
— Qu'est-ce que
c'est? — Ben, je me suis aperçu que vous aviez pas encore acheté votre arbre de
Noël dimanche passé. Ça fait que j'ai pensé à vous quand je suis passé chez
Pascal hier après-
midi, lui
expliqua son fils en ouvrant la boîte devant elle.
Je vous ai acheté
un arbre artificiel.
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— Ben, voyons
donc! protesta Laurette.
— Là, vous
pourrez plus vous lamenter que vous trouvez des aiguilles partout sur votre plancher.
En plus,
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