La fuite du temps

tomber sur la tête? dit-elle à sa mère.
     
    — Non. Qu'est-ce
qu'il y a? — Alain m'est arrivé de l'école avec des poux, dit la jeune mère de
famille sur un ton découragé.
     
    — C'est pas la
fin du monde, cette affaire-là, fît Laurette. Sors de l'huile à lampe et un
peigne fin, et vérifie ben comme il faut. Après, tu lui laveras la tête comme
il faut. Il y a pas autre chose à faire. A part ça, à ta place, je ferais la
même chose avec Sophie et Denis.
     
    — Mes enfants
sont propres, protesta Denise.
     
    — Ben oui, mais
tu devrais savoir depuis longtemps qu'ils attrapent toujours ça à l'école.
     
    — Et pour Carole?
demanda l'aînée.
     
    — Toujours
pareil.
     
    — J'ai pas eu le
temps de l'appeler aujourd'hui.
     
    — Moi, je l'ai
appelée deux fois, la rassura sa mère.
     
    Tout a l'air
normal.
     
    Laurette était
heureuse de constater que sa fille aînée avait cessé de bouder sa jeune soeur.
On aurait dit que le comportement trop sévère de son père à l'endroit de la
future mère l'avait incitée à changer de comportement, comme poussée par la
solidarité féminine. Bref, depuis un mois ou deux, elle téléphonait
régulièrement à Carole et elle l'avait même reçue à souper en deux ou trois
occasions.
     
    De toute
évidence, Pierre était d'accord avec le comportement généreux de sa femme.
     
    Le lendemain
matin, dès le départ de Gérard et de Jean-Louis pour le travail, Laurette se
dépêcha de remettre
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    de l'ordre dans
la maison avant d'entreprendre ce qu'elle appelait son «chemin de croix», soit
la confection des pâtés à la viande et des tartes qu'elle allait servir durant
le temps des fêtes. Elle éprouvait toujours autant de difficulté à réussir ces
plats fancy, comme elle disait, probablement parce qu'elle ne les cuisinait
toujours qu'une fois par année.
     
    À l'extérieur, le
ciel était enfin dégagé et la neige étincelait sous le froid soleil de
décembre.
     
    — Maudit verrat!
Si on était riches, j'aurais juste à acheter des tourtières La Belle Fermière
et des tartes toutes faites, dit-elle à voix haute en commençant à mélanger les
ingrédients dans un grand bol.
     
    Dès le départ,
elle savait qu'elle allait finir par s'enrager devant les pauvres résultats
obtenus et invoquer l'aide de sa mère qui la voyait sûrement du haut du ciel.
     
    Cette année-là ne
fit pas exception. Son porc et son boeuf accompagnés d'oignons finement hachés
mijotaient depuis longtemps sur la cuisinière quand elle parvint enfin à rouler
une pâte convenable. Elle confectionna six pâtés qu'elle s'empressa de déposer
dans le four avant de se mettre à la préparation des traditionnelles tartes aux
dattes et aux raisins. Elle ne termina son travail qu'un peu après une heure de
l'après-midi et le fait d'avoir cuisiné aussi longtemps lui avait enlevé tout
appétit. Après avoir nettoyé la cuisine et déposé ses tartes et ses pâtés dans
le coffre en bois placé sur le balcon, près de la porte, elle décida de ne pas
dîner et de se contenter d'une tasse de café.
     
    Après un court
repos, elle entreprit de préparer son ragoût de pattes de cochon et la petite
dinde qu'elle avait achetée en spécial le lundi précédent, chez Steinberg.
     
    Lorsque Gérard
rentra en compagnie de Jean-Louis, à l'heure du souper, il trouva un
appartement où flottaient toutes sortes d'odeurs appétissantes.
     
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    — Sacrifice que
ça sent bon ici dedans! s'exclama-t-il en retirant son manteau. Ça sent la
tourtière et la dinde, ajouta-t-il, l'air gourmand.
     
    — Dites-moi pas, m'man,
que c'est ce qu'on va manger à soir, dit Jean-Louis, tout autant mis en appétit
que son père.
     
    — Il y a personne
qui va toucher à mon stock des fêtes avant le réveillon de Noël, les prévint
Laurette. Je cuisine depuis à matin.
     
    — C'est ben de valeur,
se plaignit son mari. On aurait pu manger juste une petite pointe de
tourtière... Ça t'aurait évité de préparer à souper.
     
    — Laisse faire,
toi! Vous allez manger du pâté chinois.
     
    Il est prêt.
     
    Ce soir-là, après
avoir regardé La Poule aux oeufs d'or animée par Roger Baulu, Laurette attendit
que son fils se soit retiré dans sa chambre pour prévenir son mari.
     
    — A partir de
demain, je serai pas à la maison avant six heures le soir, lui dit-elle sans
aucun ménagement.
     
    — Qu'est-ce que
c'est cette histoire-là? lui demanda Gérard, surpris. Où