La fuite du temps

il va pouvoir vous servir chaque année. Où est-ce que vous allez
l'installer? — J'avais pas l'idée d'en faire un cette année, reconnut sa mère.
Mais si tu me fais ce cadeau-là, on va le mettre dans un coin, dans l'ancienne
chambre de Carole.
     
    — Bon, je vais
vous aider à le monter avant de partir, affirma Richard après avoir jeté un
coup d'oeil à sa montre.
     
    J'ai de l'ouvrage
cet après-midi et je voudrais pas rester pris dans le trafic à cause de la
neige.
     
    Le jeune homme
transporta la boîte dans la pièce voisine et se mit au travail.
     
    — Regardez,
m'man. C'est pas ben compliqué. Vous avez deux bâtons pleins de trous que vous
vissez ensemble.
     
    On a juste à
commencer par en bas et à planter les grandes branches. Elles ont des bouts peinturés
de la même couleur.
     
    Plus on monte,
plus les branches sont petites. On suit le plan.
     
    En moins de dix
minutes, Laurette se retrouva en face d'un arbre argenté installé dans sa salle
de télévision.
     
    — Ça fait tout de
même drôle d'avoir un arbre de Noël de cette couleur-là, ne put-elle s'empêcher
de dire à son fils en train de mettre ses couvre-chaussures au moment de son
départ.
     
    — C'est la grosse
mode, m'man. Vous allez voir qu'un coup décoré, ça va être ben beau.
     
    — En tout cas,
t'es ben fin de nous avoir fait ce cadeau-
    là, lui dit-elle
en l'embrassant.
     
    — Ça me fait
plaisir.
     
    — Moi, ce qui me
ferait plaisir, c'est que tu te mettes quelque chose sur la tête la prochaine
fois que tu sortiras dehors.
     
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    — Je vais essayer
d'y penser, lui promit-il avant de refermer la porte derrière lui.
     
    Laurette souleva
le rideau qui masquait la vitre de la porte et observa durant un court moment
son fils en train de déneiger vigoureusement sa voiture avant de s'installer
derrière le volant. Elle ne laissa retomber le rideau que lorsque la Pontiac se
mit en route.
     
    Elle décida alors
de décorer sans plus attendre ce sapin de Noël nouveau genre. Malgré sa peur
des rats, elle descendit à la cave chercher la boîte de carton dans laquelle
elle avait rangé les boules décoratives, les séries de lumières multicolores et
les guirlandes. En descendant l'escalier, elle fit le plus de bruit possible
pour chasser les rats que son intrusion dans leur domaine n'aurait pas incités
à détaler. Malgré tout, elle demeura sur le qui-vive et jeta des regards
apeurés durant toute sa brève expédition dans le sous-sol. De retour au
rez-de-chaussée, passablement essoufflée, elle referma vivement la porte
derrière elle.
     
    Elle termina la
décoration de l'arbre à l'heure du dîner, au moment où Roger Lebel commençait à
répondre à des auditeurs sur une ligne ouverte au poste CKVL.
     
    — Il est pas laid
pantoute, dit Laurette à haute voix en se plantant, les mains sur les hanches,
devant son nouvel arbre de Noël bien décoré. Mais il reste que ça fait drôle
quand même un arbre de Noël qui sent rien et qui a cette couleur-là.
     
    Pour dîner, elle
fit réchauffer un reste de pommes de terre qu'elle mangea avec quelques
tranches de baloney.
     
    Après avoir lavé
sa vaisselle, elle alla jusqu'à sa chambre et regarda la rue Emmett par la
fenêtre pour évaluer la quantité de neige tombée depuis le début de la tempête.
     
    Il neigeait
toujours avec la même intensité. L'accumulation semblait déjà importante. Un
client sortait au moment même du dépanneur Lemieux. L'homme avait de
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    la neige à
mi-jambes et avançait péniblement en baissant la tête pour se protéger des
flocons qui tombaient toujours aussi serrés.
     
    — Si la charrue
passe pas ben vite sur notre rue, il y a plus un char qui va être capable de
rouler, dit-elle.
     
    A l'instant où
elle finissait de parler, le grondement d'un chasse-neige municipal fit
trembler les vitres de la façade de la vieille maison. Après son passage,
Laurette abandonna son poste d'observation et se mit à retirer les cadeaux de
Noël dissimulés sous son lit. Elle passa l'après-midi à les envelopper avec
soin avant d'aller les déposer au pied de l'arbre, dans la pièce voisine.
     
    Pendant qu'elle
accomplissait cette tâche annuelle, ses pensées se dirigèrent tout naturellement
vers Carole qui vivait ses derniers jours de femme enceinte. Elle était
inquiète, très inquiète. Depuis deux semaines, sa fille avait cessé de
travailler et était confinée dans l'appartement qu'elle partageait avec