La fuite du temps
par semaine.
— Lui et ses
maudites cachettes! ne put s'empêcher de dire sa mère. Veux-tu ben me dire
pourquoi il nous le dit pas? — Vous le changerez pas, m'man, il est comme ça.
Il y a même pas moyen de savoir s'il est en amour avec Marthe.
Moi, en tout cas,
je suis sûre que Marthe est la fille qu'il lui faudrait. Elle le comprend et
l'encourage. Je sais pas si vous le savez, mais c'est elle qui l'a poussé à
demander la job de moniteur.
— Non, je le
savais pas. D'abord, tu dois pas t'ennuyer s'il vient aussi souvent, lui fit
remarquer sa mère.
— Ah! Il est pas
tout seul, m'man. Richard et Jocelyne viennent aussi à peu près une fois par
semaine. Même
Gilles et
Florence sont venus avant-hier.
— Eh ben!
— Dimanche,
Pierre est supposé venir me chercher avec Marthe parce que Denise nous a encore
invitées à souper. Je commence à trouver ça pas mal gênant.
— S'ils
t'invitent, vas-y. Ça va te changer les idées.
C'est vrai qu'ils
ont ben bon coeur.
— Presque autant
que Jocelyne et Richard, reprit Carole. Chaque fois qu'ils viennent, eux
autres, ils trouvent le moyen de me laisser de l'argent quelque part. J'ai beau
leur téléphoner après pour leur dire que j'en n'ai pas besoin, ça sert à rien.
Vous connaissez Richard. Il dit que c'est pas pour moi, mais pour le petit et
que j'ai pas le droit de refuser.
A l'évocation du
petit à qui elle allait donner naissance dans quelques jours, le visage de la
jeune femme s'assombrit et elle sembla brusquement la proie d'une profonde
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tristesse. Il était
évident qu'elle redoutait l'épreuve qui approchait. Sa mère remarqua son
changement d'expression et se demanda si sa fille était torturée par la crainte
de l'accouchement ou par le fait qu'elle avait prévu donner son enfant en
adoption.
Toutefois, pendant
quelques secondes, Laurette éprouva beaucoup de fierté devant la générosité
manifestée par tous ses enfants pour soutenir leur soeur dans un moment
particulièrement difficile. Dieu seul savait à quel point certains d'entre eux
lui avaient donné du fil à retordre, mais aujourd'hui, elle avait l'impression
d'être largement récompensée pour tous les sacrifices qu'elle avait consentis
pour «en faire du monde», comme elle disait.
Le lendemain, il
y eut tout de même un changement de ton dans les entretiens entre la mère et la
fille.
Au milieu de la
matinée, Carole eut à se pencher pour prendre une casserole dans une armoire et
elle n'y parvint qu'avec beaucoup de peine.
— Maudit que je
suis écoeurée d'être poignée comme ça! s'écria-t-elle en donnant une bonne tape
sur son ventre proéminent. Est-ce que je vais finir par m'en débarrasser un
jour de cette affaire-là? — Whow! lui cria sa mère. Fais attention à ce que tu
fais!
— J'en peux plus
d'endurer ça, se plaignit la jeune femme, à bout de nerfs.
— Ça, c'est pas
la faute du petit. Lui, il a pas demandé à venir au monde, lui reprocha sa
mère. Il y a déjà ben assez que tu vas l'avoir...
— Pas mariée?
C'est ça que vous voulez dire? l'interrompit Carole en haussant la voix.
— Oui.
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— Je l'ai pas
voulu, vous saurez.
— Tu l'as
peut-être pas voulu, mais il est là. Déjà que la vie sera pas facile pour lui,
ça fait qu'arrange-toi au moins pour qu'il vienne au monde normal, bonyeu!
Pioche pas dessus! As-tu même pensé au nom que tu vas lui donner? — Non,
répondit la future mère, sur un ton catégorique.
Ça vaut pas la
peine, je le donne en adoption, je vous l'ai déjà dit. Je veux même pas le voir
quand il va venir au monde.
— Je veux ben
croire que t'auras pas le choix de le donner, mais pense que cet enfant-là va
peut-être passer ben des années dans une crèche ou qu'il va se faire garrocher
d'une famille à l'autre. Au moins, fais attention à lui tant que t'as pas
accouché.
Carole se mit à
pleurer doucement, à bout de nerfs d'avoir à attendre si longtemps sa
délivrance.
— En tout cas,
j'ai juste hâte que ce soit fini, avoua-
t-elle en
reniflant. Après ça, je vais retourner travailler au bureau et avoir une vie
normale.
— T'es fatiguée,
lui déclara sa mère, sur un ton compatissant. Va donc t'étendre une heure dans
ta chambre pour te reposer pendant que je te prépare à dîner.
Carole se leva
péniblement de la chaise sur laquelle elle s'était lourdement laissée tomber et
se
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