La fuite du temps
Bon, c'est pas
la première fille qui fait ça, non? — On veut ben le croire, poursuivit la
belle-soeur de Laurette, mais on se doutait pas qu'elle restait avec un prêtre
défroqué, par exemple, ajouta-t-elle avec rage...
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— Avec un ancien
prêtre? demanda Laurette en feignant la surprise la plus complète.
— Ben oui, un
ancien prêtre. Et tu devineras jamais avec qui.
— Avec qui? —
Avec notre ancien vicaire, sainte bénite! s'exclama Pauline. Avec Serge
Vermette! Est-ce que c'est assez écoeurant pour toi, une affaire comme ça? — Je
veux ben le croire, mais c'est tout de même pas votre faute, cette affaire-là,
voulut les raisonner Laurette.
Nos enfants, on
les élève du mieux qu'on peut, mais après ça, ils font ce qu'ils veulent.
— En tout cas,
j'ai pas fait de réveillon à soir à cause de ça. J'étais tout de même pas pour
les inviter à la maison comme si c'était un couple marié, dit Pauline, les yeux
dans l'eau. Quand Suzanne a vu ça, elle a décidé d'aller réveillonner chez sa
soeur. Ça nous fait une belle famille, hein? — Moi, à votre place, je m'en
ferais pas tant que ça, reprit Laurette. Tout va se replacer. En attendant,
oubliez vos troubles et venez fêter avec nous autres.
Tout en poussant
devant elle son frère et sa belle-soeur, l'hôtesse eut une folle envie de leur
raconter ce qui arrivait à Carole dans l'espoir de les consoler un peu. Elle
eut toutefois la sagesse de retenir ses confidences, sachant fort bien que
Gérard ne le lui aurait jamais pardonné.
Le réveillon se
révéla un succès malgré tout. On prétendit que l'absence de Carole était due au
fait qu'elle était invitée dans la famille de sa colocataire et on distribua
les présents rassemblés au pied de l'arbre de Noël en commençant évidemment par
les enfants.
Si Laurette eut
droit à plusieurs cadeaux de la part des siens, Gérard se déclara pour sa part
absolument enchanté quand deux de ses fils allèrent chercher dans la chambre
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de Jean-Louis un
fauteuil identique à celui qu'avait reçu sa femme le jour de son anniversaire
de naissance.
— Il est fini le
temps, m'man, où vous étiez obligée de le surveiller pour qu'il s'assoie pas
dans votre fauteuil, plaisanta Gilles au moment où son père étrennait son
cadeau.
— Tu connais mal
ton père, mon garçon, plaisanta Laurette. Il est ben capable de s'asseoir dans
le mien quand j'ai le dos tourné pour pas user son fauteuil neuf.
Un éclat de rire
général salua sa repartie.
— Comment ça se
fait que le fauteuil était là, dans la chambre de Jean-Louis? demanda Gérard,
intrigué.
— C'est ben
simple, p'pa, répondit Richard. On est venus le porter quand vous étiez au
garage de mon oncle.
— Bon. On en a
fini avec les cadeaux, déclara l'hôtesse en aidant ses brus et sa fille à
ramasser les papiers d'emballage qui jonchaient le parquet. A cette heure, on
va manger avant que les enfants tombent endormis dans leur assiette.
— Là, m'man, je
pense qu'il est trop tard pour Sophie, déclara Denise en montrant sa cadette endormie
dans les bras de son mari.
— Tant pis, dit
Laurette. Va la coucher sur mon lit, Pierre. C'est vrai qu'il est déjà presque
deux heures du matin. Passez à côté, on mange.
On s'entassa tant
bien que mal autour de la table de cuisine et de la table à cartes, et les
femmes distribuèrent rapidement des assiettes dans lesquelles une généreuse
portion de pâté à la viande voisinait avec un morceau de dinde, du ragoût et
des pommes de terre.
— Bourrez-vous
pas trop, les mit en garde la cuisinière.
Oubliez pas qu'il
y a des tartes pour dessert.
Évidemment,
personne ne tint compte de l'avertissement.
Ceux qui
jouissaient d'un meilleur appétit ne se gênèrent
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pas pour demander
un supplément de chaque mets. Quand arriva le moment de faire honneur aux
desserts cuisinés par Laurette, certains se sentirent obligés de desserrer leur
ceinture pour pouvoir respirer plus à l'aise.
— Ça a pas
d'allure de manger comme ça! s'exclama Armand Brûlé. Pour moi, on va rêver au
diable cette nuit.
— C'est de valeur
que Marie-Ange et Bernard aient pas pu venir, regretta l'hôtesse, mais il
paraît que la cousine de Marie-Ange avait ben gros insisté pour qu'ils aillent
réveillonner chez eux. Bernard m'a dit que sa femme avait pas vu cette
cousine-là depuis au moins quinze
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