La fuite du temps

résigna à se priver de tabac et sortit discrètement son chapelet qu'elle se
mit à égrener avec ferveur pour demander à Dieu de faciliter l'accouchement de
sa fille.
     
    Laurette dut
somnoler un bon moment parce qu'une voix connue la ramena soudain à la réalité.
Elle sursauta violemment en reconnaissant son mari, debout devant elle.
     
    — Qu'est-ce que
tu fais là? lui demanda-t-elle, stupéfaite.
     
    — Je venais
d'arriver à la maison quand Gilles a appelé pour te parler. Il pensait que
t'étais déjà revenue de l'hôpital.
     
    Je lui ai dit que
tu devais être encore là et il m'a offert de me prendre en passant pour venir
voir ce qui arrivait.
     
    — Où est-ce qu'il
est? — Il est en train de parquer son char. Il s'en vient. Est-
    ce que c'est
fini? Laurette allait répondre qu'elle ne le croyait pas quand une infirmière
lui dit que sa fille venait d'être transportée dans la chambre 216 et que tout
s'était bien passé.
     
    — Qu'est-ce
qu'elle a eu? demanda Laurette en se levant précipitamment.
     
    — Une petite
fille, madame. Vous pouvez aller la voir cinq minutes. On vient de lui apporter
son bébé. Après, vous devrez la laisser se reposer.
     
    Gilles entra dans
la salle d'attente au même moment et les Morin montèrent rapidement à l'étage
pour rendre une brève visite à la nouvelle maman. A leur arrivée dans la
chambre, le docteur Leduc quittait les lieux.
     
    — Tout s'est bien
passé, dit-il aux visiteurs. Elle a donné naissance à une petite fille de sept
livres et deux onces en parfaite santé. Vous pouvez entrer la voir, mais faites
ça
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    vite. Les soeurs
sont pas patientes avec les visiteurs qui sont en dehors de l'horaire.
     
    Laurette, Gérard
et Gilles pénétrèrent dans une chambre commune partagée par quatre jeunes
patientes.
     
    Un simple rideau
séparait chacune des alcôves. Quand ils s'approchèrent du lit de Carole, ils la
découvrirent, les traits creusés, en béate admiration devant l'être à qui elle
venait de donner la vie.
     
    Laurette
s'approcha rapidement et se pencha pour mieux examiner le bébé.
     
    — Mais regardez
donc comment elle est belle, cette enfant-là! s'écria-t-elle. Pas une rougeur.
Pas une marque dans le visage. En plus, elle a déjà des beaux cheveux brun
foncé. Une vraie poupée! On a juste une envie en la voyant, c'est la prendre et
la bercer.
     
    Carole regarda sa
mère avec un mélange de fierté et de
    tristesse.
     
    — Voulez-vous la
prendre, m'man. Je me sens fatiguée.
     
    Laurette
s'empressa de prendre le bébé dans ses bras et elle invita son mari et son fils
à s'approcher pour mieux l'admirer.
     
    — Elle est ben
belle, reconnut Gérard en allant embrasser sa fille. Repose-toi. On reviendra
te voir demain soir.
     
    Une religieuse
apparut comme par miracle à la porte de la chambre. Sans dire un mot, elle prit
le bébé des bras de Laurette et invita les visiteurs à partir.
     
    Le trajet de
retour à la maison dans la Toyota orangée de Gilles se fît dans un silence
presque complet après que Laurette eut déclaré: — C'est ben de valeur qu'elle
soit obligée de donner ce bébé-là en adoption. Ça me fait mal au coeur de savoir
que je le verrai pas grandir.
     
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    Lorsque son fils
immobilisa sa petite voiture japonaise devant la porte, Gérard ne put
s'empêcher de lui dire: — Sacrifice, qu'on est tassés dans ces chars-là! C'est
tellement petit qu'on a l'impression sur le chemin qu'on va passer en dessous
des autres.
     
    — Peut-être qu'il
est pas mal plus petit que votre grosse Chevrolet, p'pa, mais le moteur de mon
char part tous les matins, lui, pendant l'hiver.
     
    Gérard ne trouva
rien à répliquer. Gilles refusa de souper à la maison, alléguant qu'il avait
promis d'emmener Florence au cinéma Parisien ce soir-là.
     
    Dès son entrée
dans la maison, Laurette sentit une alléchante odeur de ragoût et de tourtière
en provenance de la cuisine.

 
    — J'espère que tu
nous en as laissé, dit-elle à Jean-Louis qu'elle vit attablé seul dans la
pièce, au bout du couloir.
     
    — Il en reste en
masse, se contenta de dire le jeune homme.
     
    Laurette et
Gérard enlevèrent leur manteau et leurs bottes, et vinrent le rejoindre. Avant
même que son fils songe à leur demander où ils étaient, elle s'empressa de lui
apprendre que sa soeur venait de donner naissance à une belle petite fille.
     
    — Si tu veux
aller la voir à l'hôpital, il va falloir que