La fuite du temps
s'était nommée. La garde-
malade avait
alors poussé près de la vitre le petit lit de son bébé. Jocelyne et Richard
étaient alors tombés en extase devant le poupon et n'avaient pas ménagé leurs
louanges.
Le soir même, le
couple était revenu visiter Carole, apportant un cadeau de circonstance pour sa
fille. Là encore, il avait fait une longue station debout devant la
pouponnière. Il n'avait quitté les lieux que lorsque l'infirmière avait refermé
le rideau. Quand ils étaient revenus à la chambre de Carole, ils avaient trouvé
Pierre, Denise, Marthe et Jean-Louis en train d'attendre. Tout ce monde s'était
retiré en compagnie de la nouvelle mère dans une petite salle, au bout du
couloir durant l'heure suivante.
La veille du jour
de l'An, Carole eut la surprise de voir entrer dans sa chambre son frère et sa
femme, hors des heures habituelles des visites.
— Qu'est-ce que
vous faites là? leur demanda-t-elle, surprise. Comment ça se fait que les
soeurs vous ont laissés passer?
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— C'est une
permission spéciale, dit un Richard affichant un air singulièrement emprunté.
— Pourquoi? —
Envoyé, dis-lui, ordonna Jocelyne, excitée, à son mari.
Aussitôt, Carole
fut sur ses gardes. Il se passait quelque chose d'anormal.
— Ben. On voulait
te poser une question importante, avoua Richard dont les oreilles avaient
subitement rougi.
— Quoi? lui
demanda sa soeur, méfiante.
— Bon. Je vais
arrêter de tourner autour du pot. On est tombés en amour avec ta fille, avoua
Richard en baissant la voix. La nuit passée, on n'a pas dormi pantoute. On a
passé la nuit à en parler.
— Puis? demanda
la jeune mère, méfiante.
— Nous autres, tu
comprends, ça fait cinq ans qu'on
essaye d'avoir un
petit et ça marche pas, intervint Jocelyne d'une voix un peu suppliante.
— Ça fait qu'on
s'est demandé si on pourrait pas... si on pourrait pas adopter ta fille.
— Ma fille? fit
Carole, en élevant la voix.
— Ben oui. T'as
dit que t'allais la laisser en adoption, reprit Richard en cherchant à se faire
persuasif. Pourquoi tu nous la laisserais pas? Nous autres, on en prendrait ben
soin et on l'aimerait. Ce serait notre fille, tu comprends.
Carole regarda
son frère et sa belle-soeur à tour de rôle sans dire un mot. Elle avait
soudainement pâli. Il était évident que la jeune femme était déchirée. Tout
allait trop vite pour elle. Elle se répétait cent fois par jour qu'elle ne
pourrait pas garder son bébé, qu'elle serait incapable de pourvoir à ses
besoins seule. Et voilà qu'au moment où elle s'apprêtait à renoncer à lui faire
une place dans sa vie, à le confier à de purs étrangers, Richard et sa femme
lui proposaient de l'adopter.
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— Attendez, leur
demanda-t-elle d'une voix un peu implorante en se tordant les mains.
Laissez-moi le temps de respirer un peu.
Si elle acceptait
l'offre de son frère, elle pourrait voir grandir sa fille... Mais ce ne serait
plus sa fille, ce serait la fille de Jocelyne et de Richard! Était-elle prête à
supporter de la voir vieillir sans jamais être capable de lui avouer qu'elle
était sa vraie mère? Ça allait être une vraie torture...
Par contre, si
elle la donnait en adoption à des étrangers, elle ne la reverrait jamais plus,
et ça, ce serait pire que tout.
Elle se sentait
incapable de prendre une telle décision.
— Ben là, je sais
pas si on peut faire ça, finit-elle par dire d'une voix peu assurée.
— C'est pour ça
qu'on est venus de bonne heure à matin pour parler à la soeur qui s'occupe de
ça, déclara doucement Richard, les. yeux brillants d'espoir. Elle nous a dit
qu'il y avait pas de problème si t'acceptais. T'aurais juste à signer une
formule.
— Signer une
formule? dit Carole en regardant son frère et sa belle-soeur, comme si elle ne
comprenait pas trop ce qu'ils lui disaient.
Elle était
bouleversée et semblait encore indécise.
— Si tu signes,
tu nous ferais un ben beau cadeau, intervint doucement Jocelyne à son tour.
— En plus,
penses-y, fit Richard. Au lieu de plus jamais revoir la petite, tu deviendrais
sa tante, tu la verrais grandir et tu pourrais venir la voir aussi souvent que
tu voudrais...
— Je sais ben,
reconnut Carole d'une voix faible.
— En autant que
tu lui dises pas que t'es sa mère, tint tout de même à préciser Jocelyne.
— Qu'est-ce que
t'en
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