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La fuite du temps

La fuite du temps

Titel: La fuite du temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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aussi longtemps que vous voudrez demeurer ici. Vous pouvez prendre tout
votre temps pour commencer à vous chercher un autre appartement. Tout ce que je
vous demande, c'est de nous prévenir une semaine à l'avance avant de partir de
manière à ce que nous puissions venir sécuriser votre appartement. On voudrait
pas qu'il y ait du vandalisme dans les appartements laissés vides.
     
    — D'après vous,
quand est-ce qu'ils vont démolir notre maison? demanda-t-elle, la gorge nouée.
     
    — J'en n'ai
aucune idée, madame. Ça va dépendre par quoi ils vont commencer à démolir.
S'ils commencent par les gros bâtiments de la compagnie, il y a des chances que
vous puissiez avoir plusieurs mois de répit. S'ils aiment mieux jeter à terre
les maisons d'abord, ça peut aller pas mal vite. Disons qu'on en aura une
meilleure idée pendant l'été prochain.
     
    Sur ces mots,
Armand Tremblay prit congé et alla sonner à la porte voisine. Appuyée contre le
mur du couloir, Laurette ne bougea pas durant un long moment. Elle entendit
Rose Beaulieu marcher à l'étage au-dessus pour aller ouvrir la porte au fondé
de pouvoir de la Dominion Oilcloth.
     
    — Tu parles d'une
nouvelle, toi! Nous v'ià dans la rue!
     
    dit-elle à
mi-voix.
     
    Elle retourna
dans sa cuisine et s'alluma une cigarette, comme si ce geste allait lui
permettre de mieux accepter la
    89
    mauvaise nouvelle
qui venait de lui tomber dessus. Mais pourquoi «mauvaise nouvelle»?
N'avait-elle pas juré des milliers de fois qu'un jour elle quitterait avec
allégresse «cette maudite cabane où les rats étaient aussi nombreux que les
courants d'air»? Pourquoi tenait-elle tant à cet appartement où on crevait de
chaleur l'été et où on gelait l'hiver? On aurait dit qu'elle gommait de son
souvenir tous ces hivers où elle avait grelotté, impuissante devant les
fenêtres et les plinthes recouvertes de glace.
     
    Elle se planta
devant l'unique fenêtre de la cuisine et laissa errer son regard sur la grande
cour, de l'autre côté de la clôture qui ceinturait sa cour en terre battue.
Elle avait du mal à concevoir que tout cela allait disparaître.
     
    C'était son
univers depuis son mariage, en novembre 1932.
     
    C'était ici
qu'elle avait donné naissance à ses cinq enfants et les avait élevés. Trouver
un autre appartement dans le quartier ne l'intéressait pas le moins du monde,
même si elle avait vainement essayé, dix ans auparavant, pour protester contre
une augmentation injustifiée de son loyer.
     
    Il lui fallut
plusieurs minutes avant de se remettre du choc. Elle finit par sortir sur le
balcon pour aller enlever les vêtements maintenant secs sur sa corde à linge
dans le but de les remplacer par une seconde cordée. Au moment où elle enlevait
le dernier vêtement, elle entendit Rose Beaulieu la héler.
     
    — Madame Morin!
Est-ce que monsieur Tremblay est passé chez vous? — Oui, madame Beaulieu. Juste
avant de monter chez vous.
     
    — Je vous dis que
c'est toute une brique qui vient de nous tomber sur la tête, déclara la
voisine, catastrophée. Je me demande ben comment mon Vital va prendre ça.
     
    — Moi aussi, je
me demande comment mon mari va le prendre, dit Laurette avant de rentrer dans
la maison.
     
    90
     
    À la fin de
l'après-midi, à son retour du port, Gérard apprit de sa femme pourquoi ils
n'auraient jamais plus de bail à signer pour l'appartement qu'ils occupaient
depuis plus de trois décennies.
     
    — Ça a quasiment
pas de sens une affaire comme ça, protesta-t-il. Comme si Dominion Oilcloth
allait cracher sur des loyers qui lui rapportent des milliers de piastres
chaque mois. On me dirait qu'on veut jeter à terre les vieilles maisons de la
rue Notre-Dame, j'aurais pas trop de misère à le croire. Mais là, trois rues,
plus les bâtisses de la compagnie...
     
    — En tout cas,
c'est ce que Tremblay m'a raconté.
     
    — Je suis prêt à
te gager qu'on est en train de s'énerver pour rien, dit Gérard. Rappelle-toi
que ça fait au moins trois ou quatre fois qu'on nous fait accroire qu'on va
tout démolir dans le coin et, chaque fois, il s'est rien fait.
     
    — Peut-être,
admit sa femme, mais souviens-toi qu'on avait toujours un bail à signer. Là, on
n'a rien. Ils peuvent venir nous jeter dehors quand ils veulent et on n'a rien
à dire.
     
    — On verra ben,
rétorqua Gérard, philosophe. De toute façon, c'est pas pour demain matin.
     
    — Une chance!
s'écria Laurette. On est rendus presque

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