La fuite du temps
Johnson,
le chef de l'Union nationale, Gérard se déclarait ouvertement en faveur de
celui qu'il considérait comme le digne successeur de son idole, Maurice
Duplessis. Les idées contenues dans ce manifeste et largement débattues sur la
place publique l'avaient facilement persuadé que Johnson était l'homme dont le
Québec avait besoin.
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— La folie des grandeurs
de Lesage achève, déclara-t-il ce soir-là à Bernard Bélanger, son voisin de
droite, un libéral convaincu avec qui il adorait discuter de politique.
— Énerve-toi pas
trop vite, lui conseilla le gros éboueur placide. Ton Johnson est loin d'être
élu. Il va encore en manger toute une, comme en 62. On dirait que t'as déjà
oublié comment il a eu l'air fou au débat des chefs. Il s'est fait déculotter
par Lesage. Il a eu l'air d'un vrai niaiseux.
Lesage va rentrer
encore plus fort. Ça peut pas faire autrement avec tout ce qu'il a fait pour la
province. Pense à la réforme scolaire et à la nationalisation de l'électricité,
par exemple. Tu vas t'apercevoir que le monde est pas fou. Il y a pas un
gouvernement qui a fait autant que celui de Lesage pour la province.
— On voit ben que
t'es rouge à plus en voir clair, se moqua Gérard. Moi, je te dis que le monde
est écoeuré de Lesage et de toutes ses taxes qu'il arrête pas d'augmenter.
Tu vas
t'apercevoir. que Johnson est pas fou pantoute.
— S'il veut se
faire élire, il va falloir qu'il recommence à essayer de passer des faux
certificats, comme la dernière fois, se moqua le voisin en faisant référence au
scandale qui avait marqué l'élection de 1962.
André Lagarde,
l'organisateur en chef de l'Union nationale, avait été arrêté quelques jours
avant l'élection générale pour avoir tenter de fausser les résultats. L'affaire
avait fait tant de bruit qu'elle avait beaucoup contribué à la réélection de
Jean Lesage.
— Là, je
t'arrête. Cette crocherie-là, ça a jamais été prouvé! Le parti a été blanchi,
et tu le sais ben! s'exclama Gérard. À partir du 5 juin, ton Lesage va avoir
tout le temps qu'il veut pour faire le beau dans l'opposition, je te le
garantis.
Quand l'agent de
sécurité rentra à la maison quelques minutes plus tard en se frottant les mains
de plaisir anticipé
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à la pensée de la
lutte électorale qui promettait d'être chaude et pleine de rebondissements, sa
femme ne put s'empêcher de lui faire remarquer d'une voix acide: — Tu t'excites
ben pour rien. Ils vont encore nous endormir avec toutes leurs belles promesses
et le lendemain des élections, ils se souviendront plus de rien.
— C'est pas vrai
avec l'Union nationale, dit Gérard avec force.
— Arrête donc,
toi! fit-elle. Ton Johnson va être comme les autres. En plus, tu vas même pas
voter le jour des élections, ajouta-t-elle, sarcastique.
— Peut-être, mais
je paie des impôts, taboire! Et ça me donne le droit de dire ce que je pense,
la rabroua son mari avant de s'asseoir dans sa chaise berçante.
Le lendemain
soir, Laurette vit Richard et Jocelyne descendre de leur voiture arrêtée devant
sa porte.
— De la visite en
pleine semaine, c'est pas mal rare, ça, ne put-elle s'empêcher de dire avant de
leur ouvrir la porte.
La femme de Richard
avait l'air aussi excitée que son mari quand Laurette les fit passer dans la
cuisine où Gérard regardait les informations à la télévision. A la vue des
visiteurs, il se leva pour aller éteindre l'appareil.
— Ben non, p'pa,
dérangez-vous pas pour nous autres, lui dit Richard en s'assoyant aux côtés de
sa femme, près de la table.
— Qu'est-ce qui
se passe? lui demanda sa mère, intriguée.
C'est rare qu'on
vous voit dans la semaine.
— On a une grande
nouvelle à vous annoncer, dit Richard dont les yeux brillaient d'excitation.
— T'attends un
petit, dit Laurette, pleine d'espoir, à sa bru.
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— Ben non, madame
Morin, répondit Jocelyne. Ce sera pas encore pour tout de suite.
— C'est quoi,
votre nouvelle? demanda Gérard.
— J'ai lâché MacDonald
Tobacco cet après-midi pour me lancer en affaires, déclara Richard d'une voix
enthousiaste.
— Dis-moi pas que
t'as perdu ta job! s'exclama sa mère, catastrophée.
— Ben non, m'man,
protesta son fils. Vous avez pas compris. J'ai lâché ma job exprès pour me
lancer dans les affaires.
— Dans les
affaires? Quelles affaires? — J'ai
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