La fuite du temps

Elle se taisait, attendant la
sanction qu'il allait prononcer.
     
    — J'ai reçu le
résultat de votre test, se contenta de dire le médecin. Il est malheureusement
positif, ajouta-t-il sans aucun ménagement pour la jeune fille.
     
    — Positif?
demanda Carole, la voix tremblante.
     
    — Oui. Il y a pas
d'erreur. Vous êtes enceinte.
     
    Carole éclata
alors en sanglots, incapable de retenir plus longtemps le désespoir qui la
submergeait.
     
    — Mais qu'est-ce
que je vais devenir? demanda-t-elle en hoquetant. J'en veux pas de bébé. Je
suis pas mariée.
     
    J'en veux pas!
     
    Edmond Leduc fit
preuve de patience et la laissa s'épancher durant trois ou quatre minutes avant
de l'interrompre d'une voix sévère.
     
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    — Bon. Ça va
faire! lui dit-il durement. Vous attendez un enfant, que vous le vouliez ou
pas. Lui, il a pas demandé à venir au monde. C'est votre enfant et vous allez
être sa mère. Vous allez arrêter de pleurer sur votre sort et vous occuper de
lui. Demandez au père de prendre ses responsabilités.
     
    — Il en veut pas
non plus. Je suis même pas sûre qu'il veut me marier, avoua Carole.
     
    C'était la
première fois qu'elle admettait ouvertement cette possibilité et elle en fut
bouleversée.
     
    — Dans ce cas-là,
vous avez pas le choix, mademoiselle.
     
    vous le mettrez
au monde et vous le donnerez en adoption si vous voulez pas le garder. Il y a
des dizaines de jeunes filles qui le font chaque année à Montréal. Vous êtes
pas la première à qui ça arrive et vous serez pas la dernière, je vous prie de
le croire.
     
    Carole songea
soudain à ce qu'elle avait entendu à propos de toutes ces femmes riches qui n'hésitaient
pas à aller se faire avorter aux États-unis. Elle savait aussi qu'il y avait
aussi des endroits au Québec où il était possible de... C'était dangereux et
illégal, disait-on, mais cela existait.
     
    Elle prit son
courage à deux mains pour demander d'une voix mal assurée au médecin assis en
face d'elle: — Est-ce que vous pourriez pas?...
     
    — Pas quoi?
demanda le docteur Leduc, en feignant de ne pas comprendre.
     
    — Me l'enlever,
dit-elle dans un souffle.
     
    — Non,
mademoiselle! s'écria-t-il, furieux. Vous avez pas honte? Vous seriez prête à
tuer votre enfant? Non.
     
    Je ne mange pas
de ce pain-là!
     
    — Tout le monde
va me prendre pour une putain, gémit Carole à mi-voix.
     
    — Pas tout le
monde, la corrigea le médecin en retrouvant son calme. Quelques imbéciles,
peut-être.
     
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    — Ma mère... Mon
père... Qu'est-ce qu'ils vont dire? s'inquiéta la jeune fille.
     
    — Que voulez-vous
qu'ils disent? Ce qui est fait est fait, dit le praticien avec une impatience
évidente.
     
    — Ils vont me
mettre dehors.
     
    — Et alors. Vous
n'êtes plus une enfant, la réprimanda Edmond Leduc. Vous travaillez, non? —
Oui.
     
    — Bon. Alors,
vous vous installerez ailleurs et vous aurez votre petit. Il vous reste à vous
trouver un médecin pour vous suivre durant votre grossesse, ajouta le praticien
pour mettre fin aux lamentations de Carole. A cette heure que vous êtes une
future mère, vous avez des responsabilités importantes. Vous devrez toujours
penser à votre santé et à celle du petit qui s'en vient.
     
    — Allez-vous vous
occuper de moi? demanda Carole d'une toute petite voix.
     
    — C'est correct,
accepta Leduc.
     
    — Quand est-ce
que ça va commencer à paraître? — Je dirais qu'avec votre constitution, ça se
verra pas avant encore deux bons mois.
     
    Après un rapide
examen de sa jeune patiente, le médecin lui donna un rendez-vous à la fin du
mois de juillet, après lui avoir conseillé une dernière fois de se montrer
courageuse. Carole acquitta le prix de la consultation au bureau de la
réceptionniste avant de quitter l'immeuble du boulevard Saint-Joseph.
     
    A l'extérieur,
elle fut accueillie par une bouffée de chaleur dégagée par l'asphalte que le
soleil avait surchauffé toute la journée. Elle avança sur le trottoir comme une
automate.
     
    Elle avait
l'impression de marcher dans un épais brouillard.
     
    Soudain, elle
n'eut plus qu'une envie, celle de se retrouver seule, dans sa chambre à
coucher. Elle désirait s'étendre et dormir pour ne plus avoir à penser à tout
ce qui l'attendait.
     
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    Elle s'immobilisa
à l'arrêt d'autobus, perdue dans un rêve éveillé. Comme tout aurait pu être
différent si cela lui était arrivé après son mariage. André