La fuite du temps
l'aurait
accompagnée chez le médecin et aurait probablement accueilli avec joie
l'annonce de la naissance d'un petit Cyr. Ils auraient fêté l'événement dans un
restaurant et la famille Morin se serait réjouie de l'arrivée prochaine d'un
autre enfant. Elle se souvenait combien sa mère avait été fière et heureuse
d'apprendre que Denise attendait son premier enfant...
Mais non! Tout
cela ne serait pas pour elle! À cause d'un accident, sa vie était gâchée... à
moins qu'André veuille l'épouser. Il n'était peut-être pas trop tard pour tout
arranger.
Quand elle
descendit de l'autobus au coin de Fullum, elle avait déjà pris la décision
d'attendre le lendemain soir pour parler à André. Il était déjà plus de huit
heures et elle ne se sentait pas en état de discuter de leur avenir ce soir-là.
Tout en marchant,
elle se persuada qu'elle allait arriver facilement à le convaincre de se marier
rapidement. La chance allait tourner. Le jeune tailleur trouverait du travail
et ils s'installeraient dans un petit appartement du quartier.
Eux aussi
allaient avoir une vie normale et le petit aurait un père et une mère, comme
les autres enfants.
Elle entra chez
elle au moment où le soleil se couchait.
La cuisine
n'était éclairée que par la veilleuse allumée sur le téléviseur devant lequel
sa mère et son père étaient assis.
Dès qu'elle entra
dans la pièce, sa mère se leva et alluma le plafonnier.
— As-tu soupe?
lui demanda-t-elle.
— Non. J'ai pas
eu le temps, admit Carole qui sentit soudain la faim la tenailler.
Dérangez-vous pas. Je suis capable de me faire des toasts avec un oeuf.
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Laurette se
rassit et alluma une cigarette avant de lui dire sur un ton neutre: — T'as eu
un téléphone cet après-midi.
— Ah oui! De qui?
— De la secrétaire du docteur Leduc, laissa tomber Laurette en scrutant le
visage de sa fille. Il paraît que t'avais un rendez-vous à soir...
— Ben oui, je
l'avais complètement oublié, lui, s'empressa de mentir la jeune fille, un
instant déstabilisée en apprenant cet appel à la maison.
— C'est qui, ce
docteur-là? lui demanda sa mère, intriguée.
— C'est un
docteur qui a son bureau proche de mon ouvrage. Il y a quinze jours, je filais
pas. Ça fait qu'un midi, j'ai demandé un rendez-vous pour qu'il me prescrive
quelque chose.
— Puis? — Puis,
je me suis mise à aller mieux et je l'ai oublié.
Sa mère sembla se
contenter de cette réponse, mais Carole la connaissait assez pour savoir que sa
curiosité n'avait pas été entièrement satisfaite par ses explications et
qu'elle demeurerait à l'affût de toute anomalie la concernant dans les semaines
à venir.
Après son souper
improvisé, la jeune fille s'empressa de se réfugier dans sa chambre où elle
occupa le reste de la soirée à mettre au point les arguments qu'elle
utiliserait le lendemain soir pour convaincre son amoureux de l'épouser avant
la fin de l'été.
La journée du
lendemain passa comme dans un rêve.
Carole ne cessa
de repasser dans sa tête tout ce qu'elle allait dire à André lorsqu'elle le
verrait après le souper.
Elle ne lui
téléphonerait pas. Elle avait planifié d'aller le
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rencontrer chez
son frère pour lui enlever toute possibilité de fuir le tête-à-tête qui allait
décider de leur avenir et de celui de leur enfant.
Elle rentra chez
elle après son travail et soupa sans grand appétit, trop énervée pour avoir
faim. Elle aida sa mère à laver la vaisselle et à ranger la cuisine avant
d'aller se préparer dans sa chambre. Soigneusement coiffée et maquillée, elle
retrouva sa mère assise dans sa chaise berçante, devant la porte d'entrée.
— Tu sors à soir?
lui demanda-t-elle, surprise.
— Je serai pas
longtemps partie, répondit Carole, évasive.
J'ai besoin d'une
couple d'affaires à la pharmacie.
Elle s'empressa
de se mettre en marche pour éviter d'avoir à répondre à d'autres questions.
Elle traversa la rue Emmett en diagonale en direction de la rue Archambault.
Les quatre hommes
en train de discuter devant le dépanneur, au coin de la rue, cessèrent un
instant de parler pour la regarder aller. Même si elle sentait leurs regards
fixés sur elle, la jeune fille ne tourna pas la tête. Laurette avait tout vu et
fut envahie par une brusque bouffée de fierté d'être la mère d'une aussi belle
fille.
Carole
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