La fuite du temps

des Laurentides. Laurette et Gérard avaient alors
découvert une coquette maison en briques beiges, édifiée au centre d'un grand
terrain bien aménagé. Sans être luxueuse, la résidence secondaire de six pièces
était meublée avec goût et offrait un confort très agréable.
     
    — Si t'as le goût
d'aller passer là une fin de semaine, t'as juste à nous donner un coup de
téléphone, offrit Rosaire, toujours aussi généreux. On te le prêtera.
     
    Cette proposition
lui attira un regard venimeux de sa femme que Laurette perçut au passage. Cette
dernière se réjouit du frisson d'horreur que sa belle-soeur venait probablement
d'éprouver en l'imaginant en train de se prélasser chez elle. Elle décida d'en
rajouter.
     
    — T'es ben fin,
Rosaire. Je dis pas qu'on te l'empruntera pas pour une fin de semaine, un beau
jour... même si je pense que ça m'énerverait pas mal de passer une couple de
jours au milieu de toutes les belles affaires fancy que vous avez. J'aurais
peur de casser quelque chose.
     
    — C'est vrai
qu'on a dépensé pas mal d'argent pour meubler notre chalet à notre goût, dit
Colombe en se rengorgeant. On y fait bien attention.
     
    Rosaire ne tint
aucun compte de la dernière remarque de sa femme et orienta la conversation sur
les élections qui allaient avoir lieu huit jours plus tard.
     
    — Il est temps
que ça finisse, cette maudite niaiserie-là, intervint Laurette. Ça fait deux
mois qu'on entend juste parler de ça.
     
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    — Ça achève,
laissa tomber Gérard. J'ai l'impression que Lesage va regretter en taboire de
les avoir déclenchées, ces élections-là. Il a eu le temps de s'apercevoir qu'on
n'est plus en 62 pantoute. Johnson a plus Bertrand dans les jambes.
     
    — Je suis pas mal
moins sûr que toi, affirma Rosaire.
     
    Le monde a la
mémoire courte et il y en a pas mal qui ont oublié tout ce que Lesage et sa
gang ont fait de travers depuis qu'ils sont à Québec. Il y en a même qui ont le
front de dire que Johnson est un petit Duplessis...
     
    — C'est tout un
compliment qu'ils lui font là. Toi, comme moi, on sait ben que Maurice
Duplessis a été notre plus grand premier ministre et que Lesage lui va même pas
à la cheville.
     
    Comme les deux
beaux-frères partageaient les mêmes idées politiques, ils s'entendirent
rapidement sur tout ce qu'ils considéraient comme des faux pas des libéraux
durant leur dernier mandat.
     
    Finalement,
Colombe donna le signal du départ un peu après quatre heures en disant qu'elle
n'avait rien de préparé pour son souper. Comme sa belle-soeur n'offrait pas de
rester pour partager le repas de sa famille, les Nadeau quittèrent
l'appartement de la rue Emmett.
     
    — T'aurais ben pu
les inviter à souper, fit remarquer Gérard à sa femme après avoir refermé la
porte derrière les invités.
     
    — Aie, Gérard
Morin! Prends-moi pas pour une folle.
     
    On crève de
chaleur aujourd'hui. Tu pensais tout de même pas que j'étais pour m'atteler au
poêle pour préparer un repas pour du monde que j'avais même pas invité et qui
nous invite pratiquement jamais.
     
    — De toute façon,
tu prépares le souper pareil.
     
    — Pantoute. A
soir, on mange des sandwichs. Il reste un peu de fesse de jambon et il y a
aussi du baloney. Ça va
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    être vite fait.
J'étais pas pour leur offrir ça à manger. En plus, j'ai rien de spécial pour
dessert.
     
    — A part ça,
pourquoi t'as dit à Rosaire qu'on pourrait ben un jour aller passer une fin de
semaine dans son chalet? T'haïs ça, la campagne.
     
    — C'était juste
pour faire enrager ta soeur. Tu lui as pas vu la face, toi, quand Rosaire nous
a offert le chalet... Ça valait cent piastres.
     
    Gérard haussa les
épaules, prit le journal déposé sur L'appui-fenêtre et sortit sur le balcon
arrière pendant que Carole et sa mère ramassaient les verres vides et
nettoyaient la nappe cirée.
     
    — Chaque fois
qu'elle met les pieds dans la maison, elle, elle me met de mauvaise humeur pour
le reste de la journée, dit Laurette à sa fille.
     
    — De qui vous
parlez, m'man? — De ta tante Colombe! Elle a une vie épuisante, la pauvre! Elle
vit dans un vrai château et elle se fait servir dans les dents par sa femme de
ménage. Avec tout ça, elle trouve encore le moyen de se plaindre. Bout de
viarge, il y a des limites! Il paraît qu'elle a pas le temps de rien faire!
     
    Elle a juste à
lâcher son maudit piano et ses cartes, et elle va en trouver du