La fuite du temps
tint à une distance respectable du trou. Gérard entendit
les pas de sa femme dans son dos, puis plus rien. Soudain, un «crac» sonore
suivi par un «Maudit verrat!» le fit sursauter. Il se tourna tout d'une pièce
pour tenter de voir ce qui s'était produit.
— Viens m'aider!
Envoyé! lui hurla Laurette qui se retenait tant bien que mal à l'une des deux
branches du siège. Maudite patente de fou! J'ai failli tomber dans le trou. Tu
parles d'une idée aussi!
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— Qu'est-ce que
t'as fait là? lui demanda Gérard en se précipitant vers elle pour l'aider à se
relever.
— J'ai rien fait
pantoute, bonyeu! s'écria-t-elle, enragée.
Je me suis assise
et, tout à coup, ça a cassé. Je te dis que je tombais dans la marde si je
m'étais pas retenue au bout de branche. Il faut être un beau sans-dessein pour
construire une affaire pas plus solide que ça. Calvaire! des affaires pour me
noyer là-dedans.
— Dramatise pas,
taboire! lui ordonna Gérard qui avait du mal à s'empêcher de rire. Y
retournes-tu? — Laisse faire. J'aime mieux me retenir, dit sa femme sur un ton
sans appel.
— Pierre va être
de bonne humeur encore, d'avoir à réparer ça.
— Je m'en sacre
pas mal. La prochaine fois, il a juste à faire un siège plus solide. Il y a ben
assez qu'on est obligés d'aller aux toilettes comme si on était des animaux.
— Si c'est comme
ça, attends-moi. J'en ai pour une minute.
Le couple revint
à la tente au moment où la pluie commençait à tomber un peu plus fort.
— On expliquera
ça demain matin à Pierre, dit Gérard en s'apercevant qu'il n'y avait plus de
lumière dans la tente voisine.
La pluie était
déjà parvenue à éteindre le feu du foyer.
Laurette et lui
se glissèrent avec un certain soulagement dans la tente et descendirent encore
une fois la fermeture éclair. Après avoir retiré leurs souliers, ils
s'étendirent sur les pneumatiques que leur petit-fils avait repoussés l'un
contre l'autre.
— Pauvre
p'tit-pit! chuchota Laurette en constatant que l'enfant était couché sur une
unique couverture. Je vais te gager que c'est nous autres qui avons les matelas
des enfants.
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— Ils sont
jeunes, répondit Gérard à voix basse. Ils en mourront pas.
Moins d'une
minute plus tard, Laurette entendit les premiers ronflements de son mari. Il
n'avait pas dormi de la journée. Le voyage en voiture et le grand air étaient
venus à bout de sa résistance. Comme elle avait fait une longue sieste durant
une bonne partie de l'après-midi, Laurette avait du mal à trouver le sommeil.
Les yeux ouverts dans le noir, elle se mit à épier le moindre bruit extérieur.
Elle ne se sentait guère en sécurité dans ce petit abri de toile que la pluie
martelait.
Après quelques
instants, les vrombissements des maringouins qui étaient parvenus à
s'introduire dans la tente commencèrent à l'énerver sérieusement. Elle avait
beau écarquiller les yeux pour tenter de les voir, il n'y avait rien à faire.
— Si j'en poigne
un, je vais assez ben l'écrapoutir, le maudit, que je vais faire peur aux
autres, se dit-elle en serrant les dents.
Puis, elle se mit
à se gratter furieusement, prise d'assaut dans le noir autant par les mouches
noires que par les maringouins. Elle jeta des regards vers Gérard pour voir
s'il était, lui aussi, incommodé par les insectes. Il dormait comme un
bienheureux. Un coup d'oeil à Alain lui apprit qu'il dormait aussi profondément
que son grand-père.
— Il y a pas de
justice, bonyeu! marmonna-t-elle, exaspérée.
Finalement, elle
rejeta par-dessus sa tête sa couverture de laine, pensant trouver ainsi un
refuge contre les moustiques piqueurs. Rien à faire. Ils la harcelaient autant
et, de plus, elle étouffait.
— Bout de viarge,
c'est pas endurable, une affaire de même! dit-elle à voix basse. Comment tu
veux dormir arrangée comme ça?
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Ce disant, elle
crut apercevoir un maringouin juste au-dessus de son visage. Sa main partit
instinctivement pour l'écraser en plein vol. Par malheur, elle toucha au toit
de l'abri en toile. Immédiatement, il se forma une goutte d'eau qui vint
s'écraser sur elle.
— Ah ben, il
manquait plus que ça! s'exclama-t-elle à mi-voix dans le noir. Vlà que ça
coule, à cette heure.
Ça va être le fun
demain matin. On va se réveiller tout mouillés si on n'est pas morts noyés
pendant la nuit. Bon.
J'en ai
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