La fuite du temps
Avec la visite,
on sait jamais à quoi s'attendre.
— Avez-vous déjà
vu ça, vous, faire si chaud aussi de bonne heure le matin? lui demanda Rose en
déposant ses sacs sur la première marche de l'escalier qui conduisait à son
appartement.
— C'est vrai
qu'il fait chaud en pas pour rire, reconnut Laurette en s'épongeant avec un
large mouchoir qu'elle venait de tirer de l'une des manches de sa robe fleurie.
Qu'est-ce que
vous voulez, on est déjà rendus à la fin de la première semaine de juillet.
C'est normal qu'on ait une couple de journées ben chaudes. C'est pour ça que
j'ai fait
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mon lavage ben de
bonne heure à matin. Moi, je suis pas capable d'endurer les grosses chaleurs.
— Moi non plus.
Dites donc, j'y pense. Les noces de votre garçon doivent approcher, fit la
voisine en changeant de sujet.
— Ben oui. Un
autre qui s'en va. Il va me rester juste mon plus vieux et Carole à la maison,
reconnut Laurette avec un rien de nostalgie.
— On a beau dire,
mais quand un enfant part, ça laisse un trou dans la maison, poursuivit la
voisine. Moi, il m'en reste juste un et, entre nous autres, j'ai pas hâte de me
retrouver toute seule poignée avec mon mari.
— Qu'est-ce que
vous voulez? C'est la vie, dit Laurette, philosophe. En tout cas, c'est pas mal
moins de troubles quand c'est un garçon qu'on marie. On n'a pas de noces à
préparer. On est comme les autres invités. On se fait recevoir.
— Votre fille est
pas malade, j'espère? — Pourquoi vous me demandez ça? — Ben. Je l'ai vue hier
soir. Je l'ai trouvée pas mal pâle.
— Non. Elle est
pas malade. Elle file juste un mauvais coton depuis une couple de semaines.
Il y eut le bruit
d'une porte qu'on ouvrait et Laurette tourna la tête vers l'intérieur de
l'appartement pour connaître l'identité de celui ou celle qui entrait chez
elle.
— Bon, je vous
laisse, dit-elle à Rose Beaulieu. J'ai du monde qui arrive.
La voisine reprit
ses deux sacs et se hissa péniblement jusqu'à l'étage. Laurette rentra chez
elle pour trouver Gilles les bras chargés d'une boîte de nourriture.
— Qu'est-ce que
c'est? lui demanda-t-elle.
— Du manger que je
rapporte du Nord.
— Viens-tu juste
d'arriver de là-bas?
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— Oui. Je suis
parti de bonne heure à matin. J'ai de l'ouvrage encore à faire dans
l'appartement. Je suis pas pour tout laisser faire à Florence. C'est ben beau
le futur chalet, mais c'est pas là qu'on va vivre tout le temps, expliqua-t-il
à sa mère en déposant la boîte sur la table de cuisine.
— As-tu demandé à
Florence quelle couleur de robe sa mère va avoir pour les noces? — Oui. Elle
m'a dit qu'elle s'était achetée une robe ivoire.
— Bâtard! En
plein la couleur que je voulais!
Gilles haussa les
épaules et se mit à ranger dans le réfrigérateur les aliments rapportés.
— Je vais être
encore poignée pour acheter une robe d'une couleur que j'aimerai pas.
— Voyons, m'man.
Vous le savez ben que le vert et le bleu vous font bien.
— Peut-être,
reconnut sa mère, mais ça me vieillit en bonyeu, par exemple!
— Bon, je vais
revenir seulement à la fin de la soirée, déclara son fils en reprenant la boîte
de carton vide qu'il laissa tomber sur son lit en passant. On va travailler
toute la journée dans l'appartement et madame Messier va me garder à souper.
— Je te gage que
tu trouves ta future belle-mère ben fine, dit Laurette avec une pointe de
jalousie.
— J'ai rien à lui
reprocher, m'man, reconnut son fils.
— Tu m'en
reparleras quand ça fera une couple de mois que tu seras marié à ta Florence.
Au début de
l'après-midi, la chaleur devint telle que Laurette n'eut d'autre choix que
d'aller faire une sieste dans sa chambre après avoir fermé les persiennes. Le
soleil frappait l'asphalte et la réverbération en devenait aveuglante. Pas un
souffle de vent ne venait rafraîchir
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l'atmosphère
alourdie par les odeurs de la Dominion Oilcloth et de la Dominion Rubber. Même
les enfants avaient cessé de crier. Tout était plongé dans une sorte de
torpeur.
Tiraillée par une
furieuse envie de fumer, elle se réveilla, couverte de sueur, un peu avant
quatre heures.
— Ça a pas
d'allure de faire aussi chaud, dit-elle en se levant péniblement.
Elle replaça les
couvertures et se dirigea vers la cuisine où elle s'alluma une cigarette.
Pendant un bref
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