La fuite du temps

Denise se précipita à son secours.
     
    — Sois pas trop
inquiète, la rassura-t-elle. T'as affaire aux plus haïssables de la famille.
Les autres sont à peu près normaux.
     
    Un éclat de rire
général salua cette précision.
     
    Un peu plus tard,
la plupart des invités décidèrent de sortir dans le stationnement, même s'il
faisait très chaud.
     
    Ils désiraient
donner le temps aux employés de desservir les tables et de remettre de l'ordre
dans la salle de réception.
     
    Laurette et
Gérard avaient quitté la table d'honneur depuis un bon moment. Ils étaient
d'abord allés parler à l'oncle Paul et à sa femme que Gilles avait tenu à
inviter.
     
    Ensuite, ils
s'étaient approchés de Bernard Brûlé et Marie-
    Ange pour prendre
de leurs nouvelles. Au bout d'un petit moment, Marie-Ange avait enfin consenti
à quitter des yeux son fils de neuf ans en train de s'amuser avec deux garçons
de la famille Messier, près de la porte d'entrée, pour faire remarquer à sa
belle-soeur: — Je regardais Carole tout à l'heure. Elle a l'air de se remplumer
en pas pour rire.
     
    — Pourquoi tu dis
ça? lui demanda Laurette, surprise.
     
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    — Il me semble
que ta fille a un peu engraissé depuis un mois ou deux. Tu trouves pas?
Laurette chercha sa cadette des yeux et la découvrit en train de parler à sa
cousine Suzanne sans démontrer une grande animation. Elle la scruta du regard
sans rien trouver de spécial.
     
    — Peut-être un
peu, admit-elle en se rappelant que Carole avait dû s'acheter une robe neuve
pour les noces parce qu'elle n'entrait plus dans sa robe jonquille qu'elle ne
possédait pourtant que depuis Pâques.
     
    — Remarque que ça
lui fait bien, ajouta Marie-Ange.
     
    C'est toute une
belle fille.
     
    — Elle est pas
pire, reconnut Laurette avec fierté.
     
    — J'ai pas vu son
cham, poursuivit sa belle-soeur, curieuse.
     
    — C'est fini,
cette histoire-là, dit Laurette, et ça fait ben mon affaire. C'était pas un
gars pour elle.
     
    — En tout cas, je
sais pas ce que Pauline a de travers, intervint Bernard, mais je sens qu'il y a
de l'eau dans le gaz.
     
    Même Armand a
l'air bête aujourd'hui. Je sais pas s'ils se sont chicanés. Ils ont rien dit
durant le repas, mais je sens qu'il a dû se passer quelque chose chez eux.
     
    — Regarde-la,
suggéra Marie-Ange à sa belle-soeur. On dirait que notre Pauline a perdu un
pain de sa fournée.
     
    Laurette tourna
alors la tête vers sa belle-soeur Pauline encore assise à sa table. L'épouse
d'Armand Brûlé affichait un air sombre. Elle était seule à sa table et ne
semblait guère pressée de se lever pour laisser les serveurs faire leur
travail.
     
    Sans dire un mot,
Laurette quitta Bernard et sa femme pour s'approcher de sa belle-soeur. Elle
tira une chaise et s'assit à ses côtés en faisant signe à une serveuse de
s'éloigner.
     
    — Veux-tu ben me
dire ce qui se passe, Pauline? lui demanda-t-elle, la mine inquiète. On dirait
que t'es en deuil.
     
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    L'autre garda le
silence un bref instant avant de parler.
     
    — C'est presque
ça.
     
    — Comment ça? —
Louise est partie de la maison depuis deux jours.
     
    — Partie? — Ben
oui. Elle nous a annoncé mercredi soir qu'elle s'en allait rester en
appartement. Comme ça, d'un coup sec.
     
    — Est-ce qu'elle
va rester toute seule? — Ça en a tout l'air, répondit Pauline. Elle nous a rien
dit.
     
    — Pourquoi t'en
fais tout un drame, la réprimanda doucement Laurette. Après tout, elle a déjà
vingt-trois ans, ta fille. Elle est majeure. Elle est pas partie vivre avec un
gars.
     
    La quinquagénaire
avait déjà oublié sa vive réaction quand Carole avait soulevé la possibilité
d'aller vivre en appartement quelques mois auparavant.
     
    — Ce qui nous
enrage le plus, Armand et moi, c'est que la petite maudite hypocrite a tout
organisé dans notre dos, sans nous dire un mot. Elle avait paquete ses affaires
en cachette et, mercredi soir, elle nous a dit qu'elle partait dix minutes
avant que son taxi arrive. Je pensais jamais avoir élevé une sans-coeur
pareille! ajouta Pauline, les larmes aux yeux.
     
    — Reviens-en,
Pauline. T'es tout de même pas pour lui en vouloir pour ça jusque sur ton lit
de mort, non? Il y eut un long silence entre les deux femmes avant que Pauline
ne reprenne la parole.
     
    — Ben non. Mais
si tu voyais comme ça nous a fait mal au coeur. Armand est tout à l'envers. Il
lui a même pas adressé la parole