La gigue du pendu
singes, cochons et serpents, et puis Bella, la lionne, tous tassés les uns contre les autres, habitants d’une arche bien étrange. Une créature africaine au souffle ronflant près d’un blaireau du pays de Galles. Des oiseaux au plumage arc-en-ciel, voletant dans une cage près d’un renard assoupi. J’ai jeté un coup d’œil au vivarium, dans un coin, où les serpents s’entassaient, enroulés sur eux-mêmes, tandis que dans la cage du dessus, un lapin gris et blanc, aux oreilles qui traînaient par terre et aux prunelles brillantes, agitait son petit nez. Des cages par-dessus des cages, amoncelées, dont la vue offensait mon sens de l’ordre et de l’esthétique – mais ce n’était pas ça le pire. Je souffrais de voir tous ces animaux sauvages ainsi emprisonnés, voilà pourquoi je venais rarement ici. Brutus et Néron n’étaient pas à l’aise non plus et ne me suivaient à l’intérieur que si je leur en donnais l’ordre, préférant rester à la porte, comme en cet instant. Tout en me promenant entre les cages, où des paires d’yeux me dévisageaient dans l’obscurité, tandis que Bella grognait, il m’a paru évident que nul ne pouvait se cacher par ici. Il n’y avait pas d’intrus, et surtout, il n’y avait aucun endroit où se dissimuler.
En longeant la cage de Bella, j’ai soudain réalisé que ce n’était pas elle mais Néron qui grondait, de ce sourd grognement de la gorge que j’étais presque seul à percevoir. Je suis vite revenu vers la porte, où il se tenait maintenant, dressé sur ses quatre pattes, montrant les dents, le regard fixé sur l’escalier du grenier, en haut duquel apparaissait Mrs Gifford.
« Chapman. Pourquoi êtes-vous encore là ? Et que faites-vous ici, à vous faufiler comme un voleur ? Vous avez de la chance que je n’aie pas appelé la police ! »
Je n’avais aucune envie d’avoir des histoires avec cette bonne femme, aussi j’ai commencé à redescendre. Mais elle ne voulait pas me lâcher et s’est hâtée de me suivre.
« Attendez un peu, Chapman. Ne bougez pas ! »
Je me suis exécuté, bien que cela m’embarrasse profondément de devoir obéir à cette mégère, et elle m’a rattrapé, s’arrêtant trois ou quatre marches au-dessus de moi, me toisant.
« Si vous avez touché à quoi que ce soit là-haut, Mr Abrahams en sera informé. Vous n’avez rien à y faire, Chapman. Votre place est au deuxième étage. »
Elle a continué à me sermonner, à me remettre à ma place, à se plaindre de mes chiens, du désordre de ma loge, et pourtant, pendant tout ce temps, son regard portait par-dessus mon épaule, sans jamais croiser le mien – était-ce mon imagination ? – le bruit étouffé de la porte d’entrée qui se refermait, alors elle m’a congédié d’un péremptoire : « Bonne nuit. »
J’ai eu le sentiment qu’elle m’avait retenu exprès, puis, en arrivant dans le hall, d’être baigné de la présence de quelqu’un d’autre. En effet, une odeur inconnue flottait dans l’air, et quand j’ai levé les yeux, Mrs Gifford était toujours là, penchée sur la rambarde.
1 - Architecte anglais (1632-1723) qui a bâti la cathédrale Saint-Paul à Londres.
6
Le Pavilion Theatre – Em Pikemartin
Je suis un homme très occupé à présent, car j’ai des projets, en vue desquels je parcours les colonnes des petites annonces, où j’ai repéré un certain nombre de charrettes et de chevaux dans mes moyens. J’ai fait mes calculs, en prenant en compte le coût de la nourriture, de l’étable et de l’entretien général – ce dont Mr Strong serait fier. J’ai presque l’impression d’être déjà dans les affaires.
Cependant, je dois économiser l’argent nécessaire, aussi je garde ma place à l’Aquarium, où je donne six représentations par jour, et un peu plus les vendredi et samedi soir. J’assiste également aux répétitions au Pavilion Theatre, où Mr Carrier nous a engagés, Brutus, Néron et moi, pour jouer dans la pièce de Noël, Elenore, la femme pirate , qui doit démarrer le lendemain de Noël. Aussi, je ne cesse d’aller et venir entre l’Aquarium et le Pavilion, mes chiens sur les talons. Les gens qui me connaissent dans le quartier ont commencé à le remarquer (car le secteur est restreint) et à m’interpeller : « Hé, Chapman ! Toujours pressé ! », et puis « Cours donc, au lieu de marcher ! », parodiant la chanson humoristique de Mr Scarsdale,
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