La Gloire Et Les Périls
elle une occasion
fort attendue de jaserie et de caquet avec « ses gentilshommes »,
comme elle nous appelait. Je la priai de s’asseoir avec nous, ce qu’elle refusa
de prime, comme à l’accoutumée, et finit, sur mes instances, par accepter, et
ce que j’étais bien certain qu’elle ferait, sinon pourquoi aurait-elle fait
apporter trois tasses et non point deux par le valet ?
— Monsieur le Comte, dit-elle, dès que nous fûmes
assis, j’ai reçu ce matin une lettre-missive de Madame de Brézolles et je dois,
de sa part, vous transmettre les mille merciements qu’elle vous fait pour le
remparement de ceux des murs de son parc à demi écroulés que vous avez
entrepris de relever avec l’aide du capitaine Hörner et de ses Suisses, payant,
au surplus, de vos deniers, le sable, la chaux, les pierres et le charroi.
— C’était bien le moins, Madame, dis-je avec un petit
salut de la tête, que j’en fasse les frais, bénéficiant depuis des mois, de la
part de votre maîtresse, d’une aussi généreuse hospitalité. Et d’un autre côté,
je suis bien aise d’occuper ainsi mes Suisses qui ne peuvent se battre, comme
l’envie les en démange, vu qu’ils ne sont pas les soldats du roi, mais ma garde
personnelle, attachée à ma personne et à celle de Madame de Brézolles, par
conséquent, et à la sûreté de ses gens et de sa demeure.
Ce discours enchanta si fort Madame de Bazimont qu’elle posa
sa tasse de tisane sur la soucoupe, ses mains étant tremblantes de son
émeuvement.
— Monsieur le Comte, dit-elle, les larmes au bord des
cils, je ne faillirai pas de conter à Madame de Brézolles ce que vous venez de
dire, et elle vous sera sans doute, comme moi-même, fort reconnaissante des
soins généreux que vous prenez de sa maison et de son domestique.
Madame de Brézolles ne m’ayant jamais écrit la moindre ligne
depuis son département pour Nantes, j’avais observé moi-même, vis-à-vis d’elle,
le même prudent silence, et à l’ordinaire, je parlais fort rarement d’elle à
Madame de Bazimont, craignant qu’elle ne découvrît dans ma voix et mes yeux,
sinon dans mes propos, plus d’intérêt et de passion que je ne voulais laisser
paraître. Mais cette fois-ci, l’occasion me parut si naturelle que je dérogeai
à la règle que je m’étais fixée.
— Peux-je vous demander, Madame, où en est le procès
que les beaux-parents de Madame de Brézolles ont engagé contre elle pour la
déposséder de sa maison de Nantes ? Vous en a-t-elle parlé dans sa
lettre-missive ? Et pensez-vous que vous pouvez me répéter les propos que
Madame de Brézolles a tenus à cette occasion ?
— Mille fois oui, Monsieur le Comte. Et d’autant plus
que Madame de Brézolles m’écrit dans sa lettre qu’elle a une si grande fiance
en votre jugement qu’elle vous consulterait à tout moment si vous étiez à
Nantes.
— Et qu’en est-il de son procès ?
— Eh bien, pour l’instant, me dit-elle, les deux
parties sont à égalité : elle a graissé les poignets des juges. Ses
beaux-parents en ont fait autant. Elle a fait jouer des influences. Ses
beaux-parents, aussi. Et l’issue, dit-elle, serait fort incertaine, si elle ne
possédait pas un atout maître qu’elle abattra le moment venu et qui lui fera
gagner haut la main son procès.
— Elle ne vous a pas dit quel serait cet atout
maître ?
— Nenni et je n’entends goutte à ce qu’elle dit dans un
autre passage de sa lettre. Et comme je n’arrive pas à l’entendre, je vous le
vais répéter. Voici ce qu’elle dit : votre père et vous-même êtes survenus
à Brézolles le lendemain du jour où elle-même est départie pour Nantes. Tant
est qu’elle ne vous a jamais encontré.
Pour parler franc, cette entorse à la vérité me surprit bien
moins qu’elle. J’en entendis aussitôt la prudence et, envisageant œil à œil
Madame de Bazimont, je lui dis avec la plus grande gravité :
— Madame, si votre bonne maîtresse l’affirme, c’est
qu’elle a de bonnes raisons pour cela. Et vous lui rendriez un fort mauvais
service, si vous osiez la démentir sur ce point.
— Loin de moi cette pensée, Monsieur le Comte !
dit Madame de Bazimont en rougissant. J’aime Madame de Brézolles du bon du cœur
et me jetterais à l’eau plutôt que de lui nuire.
En prononçant ces paroles, Madame de Bazimont me parut si
bouleversée et si proche des larmes que je pris le temps de l’apazimer par
mille
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