La Gloire Et Les Périls
politesses avant que de la quitter. Quant à Nicolas, qui avait écouté cet
étrange échange de propos sans n’y rien entendre, il eut le bon goût de mettre
un bœuf sur sa langue et me laissa sans mot piper sur le seuil de ma chambre.
Je n’ouvris l’huis que lorsqu’il fut départi, sachant bien
qui j’allais trouver, se chauffant sur une chaise basse devant le grand feu
qu’elle avait allumé pour moi, je ne dirais pas « comme une vestale »
car, de toute évidence, là n’était pas son destin, mais comme quelqu’un qui
veillait sur moi fort bien, et même tendrement.
Belle lectrice, puis-je vous confier ici que le silence de
Perrette me fut plaisant et apaisant à l’extrême, tandis qu’elle me
déshabillait sans babiller le moindre. J’avais la tête trop pleine et le cœur
trop agité pour prononcer moi-même le moindre mot. Je commençais à deviner, ou
du moins à pressentir, pourquoi Madame de Brézolles tenait tant à changer la
date de mon arrivée en sa demeure, et enrôlait implicitement Madame de
Bazimont, mon père et moi pour en témoigner à son procès, si cela s’avérait
nécessaire. Les émerveillables finesses de ce Machiavel en vertugadin qui ne
faisait rien sans profonde raison me laissèrent béant, mais sans diminuer en
rien la grande amour que j’avais pour elle, et qui, loin de s’éteindre avec
l’absence, devenait chaque jour plus vigoureuse.
*
* *
Le roi n’était revenu à Aytré que pour informer son Conseil
et les maréchaux qu’il allait se retirer à Paris pour une durée de six semaines
afin de raffermir sa santé. Mais dès lors qu’il eut fait cette déclaration et
confié par commission le commandement des armées à Richelieu, il n’eut qu’une
hâte : quitter au plus vite ces lieux pluvieux, venteux et tracasseux. Le
pauvre Héroard avait, le huit février, jeté son dernier regard vers le ciel de
son lit et, le dix février, Louis départit d’Aytré.
Par le plus grand des miracles, il ne pleuvait pas ce
jour-là, et le soleil, sans être chaud, brillait dans un ciel sans nuages.
Précédé et suivi par une escorte aussi forte qu’une armée, Louis décida de se
rendre à cheval d’Aytré à Surgères – première étape sur le chemin de
Paris – et d’y faire là ses adieux au cardinal. Tant est que sa carrosse
vide le suivait, laquelle était suivie par celle, également vide, de Richelieu.
Je sus plus tard que Richelieu, ce jour-là, souffrait de ses
hémorroïdes, ce qui ne lui rendait pas fort plaisante l’assiette sur un
cheval : peines qu’il endura en silence pour ne point faire sourire de
lui, le jour même où il prenait le commandement des armées royales. Il va sans
dire que ses amis les plus proches, Monsieur de Guron et moi-même, chevauchions
derrière lui, nous-mêmes suivis par une compagnie des arquebusiers à cheval du
cardinal.
Derrière la carrosse de Richelieu, je reconnus une autre
carrosse, celle-là aux armes du Nonce Zorzi. La veille, il avait proclamé urbi
et orbi qu’étant l’ambassadeur du Saint-Siège en France, il était de son
devoir de suivre le roi partout où il séjournait. Ce qui fit dire sotto voce à Monsieur de Guron que c’était là, pour le nonce, un devoir des plus doux, car
il détestait Aytré du bon du cœur et n’aspirait qu’à retrouver les aises, les
commodités et se peut même les délices de sa demeure parisienne.
Fogacer l’accompagnait pour les raisons que le nonce, qui
jouissait d’une émerveillable santé, ne redoutait qu’une seule chose dans la
vie : passer dans un monde meilleur où il eût pu, cependant, espérer un
traitement privilégié, vu la robe qu’il portait. Malgré cela, il partageait
avec tous les humains la faiblesse de croire aux remèdes au moins autant qu’aux
prières et se faisait suivre partout par son médecin.
Pour en finir avec Monseigneur Zorzi, j’appris bien plus
tard qu’à peine le roi arrivé dans sa capitale, il lui demanda audience, et lui
recommanda avec une incrédible audace (fort bien cachée par son apparence naïve
et son humeur primesautière) de faire la paix avec l’Angleterre, « la
Maison d’Autriche représentant un bien plus grand péril pour la France ».
Ce « pour la France » était savoureux, car les
Habsbourg d’Espagne représentaient un bien autre danger pour l’Italie dont ils
occupaient déjà la moitié et pesaient, en outre, par leur poids et leur
proximité sur Venise encore
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