La Gloire Et Les Périls
vous attaque devant moi ouvertement ou indirectement, je prendrai aussitôt
votre parti, et serai votre second.
Cette dernière phrase me parut savoureuse dans la bouche
d’un roi qui avait réprimé les duels, mais il n’y avait pas à douter de la
sincérité de cette promesse. Elle était faite du bon du cœur et elle serait
certainement tenue.
Le cardinal ne dit ni mot ni miette pendant le voyage de
retour à Pont de Pierre et il me fut impossible de distinguer la moindre
expression sur son visage. Pourtant, ému, il avait quelque raison de l’être, et
aussi satisfait. Sa Majesté avait de soi limité son absence à six semaines.
Elle lui avait donné le pas sur Angoulême et sur les maréchaux et enfin dissipé
toutes ses craintes en lui assurant que quiconque l’attaquerait à la Cour en
son absence, serait aussitôt rebuffé. À mon sentiment, c’est au moment où le
cardinal avait dit qu’« il s’exposait ouvertement à sa perte en se tenant
absent de Sa Majesté » que Louis avait été le plus touché par son
dévouement.
Le lendemain, sur le coup de midi, se tint à Aytré une
assemblée qui réunit autour du roi son Conseil, le cardinal, le duc
d’Angoulême, les maréchaux de France et les maréchaux de camp. Louis parla avec
une majesté écrasante. Et nul des présents, y compris les rebelutes et les
escalabreux, n’osa piper mot après qu’il eut terminé sa roide
déclaration : il partait pour six semaines et le cardinal de Richelieu
recevrait par commission, en son absence, le commandement des armées, de
l’Aunis et des provinces circonvoisines. D’ailleurs, ouvrir le bec, personne
n’en eut même le temps, car à peine eut-il terminé qu’il déclara la séance
close et s’en alla.
Comme il saillait de l’assemblée, Berlinghen vint tout
courant lui dire que le docteur Héroard, dont l’intempérie avait tout soudain
empiré, défaillait de faiblesse et se trouvait en telle agonie et extrémité que
les médecins pensaient qu’il allait passer avant la fin du jour. Bien que Richelieu
fît de son mieux pour l’en détourner, Louis décida, dans le chaud du moment,
d’aller visiter le mourant. Il me pria de l’accompagner, se ramentevant sans
doute que mon père avait étudié avec le docteur Héroard à l’École de médecine
de Montpellier et que moi-même, j’estimais fort son médecin, ne serait-ce qu’en
raison de l’amour qu’il avait montré à l’enfantelet royal, tristement désaimé
par sa mère dès le premier jour de sa naissance.
Les médecins qui entouraient Héroard ne laissèrent pas
approcher le roi de plus d’une toise du mourant, craignant qu’il ne fut par lui
contagié. Le pauvre Héroard, que je n’avais vu d’une semaine, me parut pâle,
amaigri, exténué et quasi réduit à une ombre. Toutefois, ses yeux étaient vifs
encore et s’illuminèrent quand il vit le roi qu’il avait, à peine sorti du sein
ingrat de sa mère, entouré de soins quasi maternels, lui continuant ces mêmes
soins pendant vingt-sept ans en ne prenant de repos qu’une seule fois et pour
quelques jours seulement, dans sa petite seigneurie.
Louis, l’envisageant et atterré par sa maigreur et sa
pâleur, n’osa quérir de lui comment il allait, tant il voyait qu’il allait mal.
Et ne sachant véritablement que dire, il quit de lui s’il pâtissait prou.
À quoi l’ombre d’un sourire se dessina sur le visage émacié
d’Héroard et il dit dans un souffle :
— Sire, quiconque meurt meurt à douleur.
Il ne put en dire plus. Il aspira l’air deux fois
convulsivement et son corps, tendu par un dernier sursaut, tomba lourdement sur
le lit. On entraîna le roi jusqu’à sa carrosse où, dès qu’il fut assis, des
larmes grosses comme des pois roulèrent sur sa joue. Je gage qu’il les avait
retenues jusque-là, les jugeant indignes de lui. Comme la carrosse s’ébranlait,
Louis se détourna pour essuyer ses pleurs et fit même quelque effort pour
parler, pensant sans doute que la parole l’aiderait à reprendre la capitainerie
de son âme.
— Monsieur d’Orbieu, dit-il, d’une voix qu’il
s’efforçait de raffermir, vous ramentez-vous les paroles que le docteur Héroard
a prononcées en réponse à ma question ?
— Oui, Sire : « Quiconque meurt meurt à
douleur. »
— Qu’est cela, Monsieur d’Orbieu ? Est-ce un
proverbe ?
— Nenni, Sire. C’est le premier vers d’un quatrain de François
Villon que le docteur Héroard
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