Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
française
alouette », surnom que My Lady Markby avait donné à mon père, et vingt ans
plus tard, à moi-même, quand je fus envoyé en mission à Londres par le
cardinal. My Lady Markby parlait et écrivait le français à la perfection et
c’est seulement par une de ces petites gausseries un peu absurdes qui plaisent
tant aux Anglais que, choisissant, en l’occurrence, la syntaxe de sa langue
maternelle, elle intervertissait la place de l’adjectif et du nom dans
« ma chère française alouette ».
    My Lady Markby m’avait été fort précieuse en ma mission
londonienne pour ce qu’elle connaissait mieux que personne les happy few qui gouvernaient l’Angleterre. Et elle n’avait été en aucune façon rebelute à
me bailler des informations fort utiles sur Buckingham et les ambassadeurs
rochelais qui quémandaient l’alliance de l’Angleterre à Londres.
    C’était une très haute dame, fort libre en ses propos, comme
d’ailleurs dans ses mœurs, et, tout comme les Grands en France, elle avait sa
politique propre, n’adhérant en aucune façon à celle du roi Charles, laquelle,
de reste, n’était pas celle de Charles, mais de Buckingham.
« Steenie » (c’était là le suave surnom amoureux que le roi donnait à
son favori et que My Lady Markby répétait avec dérision) faisait, disait-elle,
dans l’État tout ce qui lui plaisait, tandis que Charles n’aurait pas osé
bouger le petit doigt sans le consulter.
    Aimant elle-même chaleureusement les hommes, il n’était pas
pour me surprendre qu’elle pût nourrir quelque antipathie pour ceux d’entre eux
qui n’éprouvaient pas de tendresse pour le gentil sesso. Mais la vive
aversion qu’elle éprouvait pour Buckingham était d’ordre patriotique. Elle
répétait souvent à ce sujet la phrase d’un certain Mister Coke M.P. qui avait,
en plein Parlement, prononcé sur le favori ce jugement accablant :
    «  Lord Buckingham est la cause de toutes nos
misères, et véritablement, la calamité des calamités. »
    Pendant mon séjour à Londres, il ne m’avait pas échappé que
My Lady Markby, veuve fort accorte, ou, comme diraient les Anglais, buxom [59] , nourrissait pour moi les
mêmes sentiments qu’elle avait nourris pour mon père et eût volontiers dévoré
de ses petites dents blanches « sa chère française alouette », si la
différence d’âge n’avait retenu sa délicatesse. Au lieu de cela, elle devint
mon sage mentor, m’expliqua avec beaucoup de clarté la réaction des différentes
classes de la société anglaise à l’égard de Buckingham. Dans sa lettre, elle
reprenait cette analyse avec plus de clarté encore.
    Belle lectrice, qui êtes, comme vous voulez bien me
l’écrire, suspendue à mes lèvres, je suis moi, si je puis dire, suspendue à vos
yeux et dès que je crois y lire l’ombre d’une fatigue, je m’efforce de retenir
votre attention par mes plus tendres soins. C’est pourquoi je ne vais pas vous
citer céans en son entièreté la lettre-missive de My Lady Markby, mais tirant
pour ainsi dire ma chaire à bras à côté de la vôtre, vous conter au bec à bec,
et brièvement, la substantifique moelle de son propos, auquel je trouve et
auquel vous trouverez vous-même, je le souhaite, le plus vif intérêt.
    Distinguant, comme on le fait d’ordinaire dans la société
anglaise, trois classes : la noblesse, la middle class [60] et le populaire, My Lady Markby
m’expliquait pourquoi elles étaient toutes les trois hostiles à Buckingham,
quoique pour des raisons diverses et à des degrés différents.
    Les Grands, sauf les plus opportunistes d’entre eux,
regardaient Buckingham de très haut en raison de sa petite noblesse, et se
scandalisaient qu’il fût parvenu à la pairie par des moyens douteux, mais ils
ne regardaient pas avec antipathie les expéditions contre la France, et
d’autant plus qu’elles ne leur coûtaient rien, étant exemptés des taxes et des
impôts. Ils les trouvaient bien au rebours de bonne politique : « La
rébellion rochelaise, disait le comte de Carlisle, est une fièvre, et sans
cette fièvre, la France serait trop vigoureuse et intimiderait ses
voisins. »
    La position de la middle class, on l’a vu, si vigoureusement
exprimée dans le Parlement par Mister Coke, était, elle, radicalement
hostile : elle ne pouvait en effet souffrir que Buckingham, pour financer
ses expéditions aventureuses contre la France, eût osé lever de nouvelles taxes
de son cru,

Weitere Kostenlose Bücher