La Gloire Et Les Périls
en violation impudente des lois, et au mépris des droits du
Parlement.
Quant au populaire, il était à la fois pressuré par les
impôts et « pressé » : j’entends dire, par là, recruté de force
et arraché à son métier et à sa famille pour servir comme soldat ou marin. En
outre, qui parmi eux pouvait ignorer qu’au moment de l’expédition contre l’île
de Ré le salon du navire amiral était décoré par un grand tableau représentant
Anne d’Autriche : Buckingham ne faisait donc la guerre au roi de France
que pour se revancher d’avoir été éloigné par lui de cette « damnée
Française, papiste par surcroît ». Et que penser enfin du magnifique
bracelet de diamants que Charles I er avait offert à Buckingham
pour le consoler d’avoir subi dans l’île de Ré un échec si humiliant pour l’Angleterre
et si coûteux en vies anglaises ? « C’était bien là le
scandale ! disait-on dans ce milieu : les diamants pour lui, et les
tombes pour nous ! »
My Lady Markby m’expliquait ensuite dans sa lettre, avec sa
coutumière vigueur, comment il s’était fait que l’alliance anglaise avec La
Rochelle avait demandé, pour être conclue, tant de temps et un si âpre bargoin.
« Ce qui suit, ma chère
française alouette, écrivait My Lady Markby, est si choquant que j’eus peine à
le croire moi-même quand on me l’apprit. Pour assurer que les Rochelais leur
voudraient foi garder, nos négociateurs (mais je suis bien certaine que c’est
Buckingham qui eut cette idée infâme et j’ai quasiment honte de l’exprimer)
exigèrent, dis-je, que les Rochelais leur donnassent comme otages, retirés
aussitôt en Angleterre, un certain nombre d’enfants rochelais choisis parmi les
meilleures familles de la ville…
« Ma chère française
alouette, ne trouvez-vous pas que c’est là une de ces histoires d’ogre, comme
on n’en lit que dans les contes ? Les Rochelais, horrifiés, refusèrent
tout à plat cette indigne demande.
« La deuxième exigence de
nos bons matous ne leur plut pas davantage : ils osaient demander que La
Rochelle, en cas de nécessité – mais qui déciderait de cette
nécessité-là ? –, permettrait aux armées et escadres anglaises de se
réfugier dans son port. Mais qui déciderait quand cette armée départirait de La
Rochelle ? se demandèrent les Rochelais. Était-ce vraiment un bon bargoin
que de remplacer une vassalité par une autre ?
« Les Rochelais non
seulement refusèrent cette seconde exigence, mais insistèrent tout le rebours
pour qu’il soit spécifié dans le traité avec l’Angleterre qu’ils voulaient
demeurer “sous leur vrai et légitime maître”, ne voulant faire aucun préjudice
à la fidélité et sujétion qu’ils devaient au roi de France, lequel était “un
prince excellent, dont les procédures étaient empreintes d’une très rare
sincérité”.
« Cette exigence, ma chère
française alouette (en vous demandant pardon de vous féminiser, alors que vous
êtes si légitimement fier de vos vertus viriles), déplut fort aux négociateurs
anglais, qui en conclurent que les négociateurs rochelais avaient encore les
fleurs de lys imprimées très fortement dans leur cœur et qu’on ne pourrait pas
faire de La Rochelle ce qu’on avait si délicieusement fait de Calais en des
temps, hélas, révolus : un apanage anglais sur les côtes de France.
« Du coup, nos bons Anglais
réduisirent l’aide promise à des vivres qu’une flotte anglaise apporterait aux
Rochelais en forçant le blocus royal, à savoir des blés, des biscuits, du bœuf,
du porc salé, du fromage et même de la bière. Il me paraît étrange, je le dis
en passant, d’apporter de la bière à des gens qui ont de si bons vins…
« C’est en janvier que
Charles promit cette assistance, et il annonça en même temps que ces secours
arriveraient à La Rochelle six semaines plus tard, c’est-à-dire à la
mi-février. Las ! Ma française alouette ! Nous sommes fin avril et
vous n’avez pas encore vu les voiles anglaises se profiler à l’horizon. Que si
vous me demandez la cause de ce retardement, je vous répondrai simplement ceci [61] . Nous autres Anglais, nous
avons une grande qualité : nous sommes tenaces. Et nous avons aussi un
grand défaut : nous sommes lents. Et comme par malheur ce défaut-ci
découle de cette qualité-là, nous ne le corrigerons jamais. En effet, nous
sommes toujours si assurés d’accomplir
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