La Gloire Et Les Périls
qu’ils ne contenaient ni cordelette, ni lime, ni poignard, mais
après fouille, remis au prisonnier sans que fut jamais prélevée la moindre
parcelle des mets délectables qu’ils contenaient. Les Rochelais avaient agi de
même avec le maréchal de camp Manassés de Pas (libéré depuis contre forte
rançon). Et de même qu’elle avait émerveillé le maréchal de camp, une probité
si rare, surtout chez des gens souffrant d’aigre famine, frappa d’admiration
Monsieur de Bressac, et il ne laissa pas d’ores en avant de partager ses
viandes avec ses gardiens.
N’allez point croire, lecteur, que le marquis de Bressac,
capitaine aux gardes, et pour qui une si forte rançon était exigée, se trouvait
clos en prison revêche et barreautée. Il partageait avec ses deux gardes une
petite maison vide, hélas, de ses occupants, morts de verte faim, comme tant
d’autres en cette malheureuse cité, où l’inanition tuait chaque jour des
dizaines de personnes – chiffre qui ne fit que s’accroître d’une façon
terrifiante dans les mois qui suivirent.
Ses geôliers, que Monsieur de Bressac appelait dans les
récits qu’il en fit Pierre et Paul, se relayaient à son côté, bien conscients
de lui devoir leur survie, et concevant pour lui une extraordinaire amitié, le
promenaient en ville et sur le port pour prendre l’air. Ils l’emmenèrent même
au culte, le marquis ayant dit qu’il ne voyait pas de différence à prier au
temple ou à l’église, puisque c’était le même Dieu. Parole qu’à son retour au
camp royal il nia avoir jamais prononcée, sur le conseil de Fogacer, lequel
connaissait mieux que personne les dévots et l’encharnement qu’ils mettaient à
dépister l’hérésie.
— C’est bien pourtant le même Dieu, dit Bressac
naïvement.
— Assurément, dit Fogacer avec son lent et sinueux
sourire, mais il y a deux façons de l’adorer : la nôtre qui est
excellente, et la leur qui est exécrable…
Dans les semaines qui suivirent, Monsieur de Bressac, qui
avait trouvé logis près de Brézolles, me vint visiter souvent, et à la fin prit
habitude à moi, je devrais dire à nous, étant fort bien accueilli par Nicolas
et par Madame de Bazimont qui, n’ayant jamais vu un homme aussi grand, aussi large
et aussi musculeux, déclara un jour qu’il était « fort beau » et
qu’elle pourrait l’envisager des heures entières sans se lasser.
— Vraiment, ma mère ? dit la jeune Madame de
Clérac avec une petite moue, le marquis est à coup sûr un gentilhomme de très
bon lieu, et très intéressant à ouïr, mais beau ? Vraiment, ma mère, vous
le trouvez beau ?
C’était assurément par une très aimable condescendance que
Madame de Clérac, qui, née Foliange, était cousine des Rohan, appelait
« ma mère » Madame de Bazimont, dont le défunt mari n’était devenu
noble que par l’achat d’une terre dont il avait pris le nom. Mais quant à moi,
je trouvais très touchante la gratitude que lui témoignait la jeune épousée,
étant à son advenue céans si semblable à un pauvre poussin perdu que Madame de
Bazimont avait incontinent réchauffé sous ses plus tendres plumes.
— Mais est-il vrai, Madame, dit Nicolas, n’ignorant pas
combien l’intendante aimait être taquinée, pourvu que ce fût avec affection,
est-il vrai que vous trouvez beau Monsieur de Bressac ?
— Assurément, dit Madame de Bazimont en rougissant
comme nonnette, il n’est point tant beau que vous, Chevalier, ni tant beau que
Monsieur le comte d’Orbieu. Mais je dirais que Monsieur le marquis de Bressac a
sa beauté à lui.
— Et bien à lui, dit Nicolas, car personne ne la lui
voudrait prendre…
Nous rimes alors tous trois en regardant avec affection
Madame de Bazimont rougir davantage encore, mais cette fois du bonheur de se
sentir aimée.
Avant qu’il ne s’assît avec nous à une bonne repue, au dîner
ou au souper, j’invitais à l’accoutumée Monsieur de Bressac à monter dans ma
chambre, afin qu’il me contât les souvenirs de sa captivité rochelaise. Ce
qu’il faisait à mon grand profit, mais aussi à mon grand dol, car, à peine
assis, Monsieur de Bressac tirait de son haut-de-chausses une longue pipe en
terre, la bourrait de tabac, et battant le briquet, se mettait à pétuner avec
un contentement infini, et pour moi, inexplicable, car je n’arrivais pas à
entendre quel plaisir il pouvait trouver à aspirer dans sa bouche de la fumée
pour la rejeter
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