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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mais
assez à temps toutefois pour voir avant la nuit, de nos yeux, la flotte
anglaise à l’ancre hors de la portée des canons de nos escadres et de nos
forts.
    Parvenu à Chef de Baie, Louis démonta, et s’avançant sur la
pointe la plus proche de la mer océane, il étudia à la longue-vue la flotte
anglaise et la nôtre. De celle-ci, comme de Richelieu qui l’avait à
grand-peine, labour et dépense reconstruite, il avait lieu d’être satisfait.
Elle était divisée en quatre escadres, l’une sous nos yeux à la pointe de Chef
de Baie (la bien-nommée, car elle commandait l’entrant aux navires venus du
pertuis breton), la seconde défendant, de l’autre côté de la baie, la Pointe de
Coureille, les deux dernières escadres occupant une position médiane entre
celles que je viens de dire, tant est que l’ennemi ne pouvait pénétrer dans la
baie sans se heurter, en quelque parcours qu’il choisît, à une partie de notre
armada.
    Ni en nombre, ni en qualité, notre flotte n’était une flotte
médiocre, contrairement aux rapports déprisants que les Rochelais avaient faits
d’elle aux Anglais. Elle était commandée par des amiraux expérimentés, et
manœuvrée par des matelots bretons et normands très suffisants [63] en leur métier, mangeant bonnes
repues, touchant bonnes soldes et soumis à une discipline de fer.
    Lecteur, jugez-en plutôt : à la première évasion d’un
matelot qui désertait le bord pour aller coqueliquer sur la côte avec quelque
ribaude, le coupable était « calé en mer » id est promené au
bout d’une corde tout autour du navire dans l’eau glacée « afin de le
refroidir », disait-on. S’il récidivait, il était pendu sans tant languir
à la plus haute vergue de son bâtiment, afin que la flotte royale, dans son
entièreté, pût assister à ses derniers soubresauts et se ramentevoir, à titre
d’exemple, sa lamentable fin.
    — Monsieur d’Orbieu, dit Louis en retirant la
longue-vue de son œil, et en frottant longuement sa paupière, à votre
sentiment, combien disposons-nous de forts et de redoutes sur les deux côtés de
la baie ?
    — Une bonne dizaine, Sire, dis-je, tant j’en ai vu
construire depuis que je suis céans.
    — Il y en a dix-sept, Monsieur d’Orbieu,
dix-sept ! Pas un de moins ! C’est pourquoi je pense que si l’amiral
ennemi a une once de bon sens en sa cervelle anglaise, il n’attaquera pas.
    — Je me permets, Sire, d’être de votre avis, dit le
cardinal en se génuflexant devant Louis.
    Il arrivait à peine, s’étant arrêté à la digue pour donner ordre
à ce qu’on multipliât les soldats bâtisseurs et les charrois de pierre dont ils
avaient besoin. Je trouvais que Richelieu avait bon air et grande allure quand
il se releva de sa génuflexion. Le vent de sa course à cheval lui avait mis du
rouge à ses joues d’ordinaire si pâles. Son corps maigre était étoffé par la
cuirasse, et les pans de sa robe rouge, échappés de ladite cuirasse, flottaient
derrière lui au vent de Chef de Baie, lui donnant l’air de s’envoler, alors
même que ses pieds étaient collés si fermement sur le sol du royaume qu’il
défendait.
    — Ah Monsieur le Cardinal, vous voilà enfin ! dit
Louis sur ce ton à la fois hautain et affectionné qu’il prenait si souvent avec
Richelieu, faisant entendre à la fois qu’il ne pouvait se passer de son plus
fidèle serviteur, et lui ramentevant en même temps que ce même serviteur avait
toutefois intérêt à ne pas oublier que le roi n’en était pas moins, comme
disait Henri IV, « le maître de la boutique ». Monsieur le
Cardinal, poursuivit-il, plaise à vous d’expliquer à Monsieur d’Orbieu pourquoi
nous pensons que l’Anglais ne va pas attaquer.
    À vrai dire ce n’était pas tant que le roi désirât que je
fusse instruit desdites raisons : c’est surtout, du moins à ce que
j’entendis, qu’il désirait les ouïr derechef lui-même, tant il était heureux
des immenses travaux de fortification qui isolaient La Rochelle de la mer et
barraient tout secours.
    — Sire, dit Richelieu, je n’affirme pas que la flotte
anglaise n’attaquera pas. Mais j’affirme qu’elle a toutes les raisons de ne pas
le faire. Lord Denbigh qui la commande n’est Lord et amiral que par la grâce de
son beau-frère Buckingham. Pauvre nouveau Lord, il n’entend rien à la guerre et
moins encore à la marine ! Il sera donc terrifié à l’idée de perdre, en
même temps que

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