La Gloire Et Les Périls
aussitôt. Pour moi, je tirais ma propre chaire à bras le plus
loin de lui que je pouvais sans faillir à la courtoisie, et j’entrouvrais en
catimini ma fenêtre pour que cette fumée pût s’échapper.
Pour expliquer ce qui va suivre, plaise au lecteur de me
permettre de revenir quelques jours en arrière et de lui dire ce qu’il en fut
de la flotte de Lord Denbigh. Apparue devant la baie de La Rochelle le onze mai
elle repartit dans la nuit du dix-neuf au vingt mai, si j’ose dire, sur la
pointe des quilles sans avoir engagé le combat, ni rien fait d’autre que de
tirer au départir quelques boulets inutiles, et essayé contre une palissade un
pétard qui, allumé trop tôt, fit sauter la chaloupe et les pauvres Anglais qui
la manœuvraient.
Quant aux espérances et aux illusions que nourrirent les
Rochelais touchant le secours anglais, aux raisons qui expliquent ces
illusions, et pour finir, à l’immense désespérance qui fut la leur, quand elles
furent déçues, Monsieur de Bressac, qui avait été instruit jour après jour des
sentiments des Rochelais par ses gardes, et en savait plus que n’importe qui
dans le camp royal, éclaira d’une vive lumière ma lanterne et celle de Richelieu,
auquel il m’autorisa, me demanda même de répéter ses propos, au cas où ils
pourraient être utiles au roi.
Bien je me ramentois que Monsieur de Bressac insista prou
sur le fait qu’on ne pouvait rien entendre aux sentiments des Rochelais, si on
ne tenait pas compte qu’ils nourrissaient une foi passionnée en la légitimité
de leur cause et en la protection du Seigneur, lequel ne pouvait qu’il ne les
secourût et ne les délivrât à la fin des méchants avec l’aide des Anglais,
ceux-ci étant les alliés naturels que le Ciel leur avait donnés pour achever
cette délivrance. « L’aide du roi d’Angleterre, disait la duchesse de
Rohan, est le seul refuge où, après Dieu, nous pouvons avoir recours. »
La grande foi des Rochelais, poursuivit Monsieur de Bressac,
et l’espoir quasi religieux qu’ils mettaient en l’aide des Anglais les
amenaient, malheureusement, à minimiser les obstacles construits dans la baie
de La Rochelle par les nôtres pour empêcher que les secours pussent y pénétrer.
J’en ai souvent discuté à l’amicale avec mes gardes, disait-il, sans jamais
réussir à les faire branler d’un pouce dans leur conviction.
— Même touchant la digue ? dis-je béant.
— Surtout touchant la digue ! Ils en faisaient des
risées à l’infini ! « La tempête, disaient-ils, a déjà écorné la digue.
Vous verrez, Monsieur le Marquis, qu’elle finira par l’emporter. La mer, nous
autres Rochelais, marins de père en fils, nous la connaissons ! Nous
savons que par gros temps rien ne peut résister aux coups de bélier de ces
vagues hautes comme des maisons. »
— Il est en effet probable, rétorquai-je, que la digue,
un jour ou l’autre, sera rompue. Mais quand ? c’est tout le problème.
Avant l’arrivée des Anglais ? Et dans ce cas, la flotte anglaise pourra
passer. Ou une fois que la ville sera au bout de son pain ?
— Vous remarquez, Comte, poursuivit-il, que je n’osais
pas devant mes gardes prononcer le mot « capitulation », car ce mot à
La Rochelle était haï, honni et quasi banni de la langue.
— Et comment vos gardes répondaient-ils à cet argument
de bon sens ?
— Par des rires à gueule bec et des déprisements à
l’infini touchant le cardinal. « Libre à ce Richelieu, disaient-ils, de
jouer à entasser des petits cailloux dans la baie. Mais nous, nous connaissons
notre baie. Et nous savons bien ce qui arrivera de ces petites pierres mises à
tas : elles seront balayées et dispersées en un tournemain par la
tempête. »
— Et les palissades ? objectai-je encore.
— « Babillebahou, Monsieur le Marquis !
disaient mes gardes, les palissades, ce ne sont là que de grands bâtons plantés
dans la grève. Les Anglais enverront sur eux quelques brûlots à marée
descendante, et nous, quelques brûlots à marée montante, et nous en verrons la
farce. »
Je fus béant de ce propos. « Passe encore,
m’apensai-je, pour les brûlots anglais, mais comment les brûlots rochelais
auraient pu atteindre les palissades, puisqu’elles étaient construites de
l’autre côté de la digue. »
Il va sans dire que je tus à mes gardes ces pensées-là.
— Toutefois, dis-je, avant même de s’attaquer aux
palissades, la
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