La Gloire Et Les Périls
vêture ?
— Les Rochelais des remparts, d’ordre du maire, le
menacèrent de lui tirer sus, s’il lisait sa proclamation. Il démonta, posa sa
proclamation à terre, se remit en selle et se retira dignement.
Je ris là-dessus. Voyant quoi, Charpentier se ferma comme
une huître, craignant déjà d’en avoir trop dit. Quoi qu’il en fut, son silence
même me permit d’entendre qu’il y avait eu un différend entre le roi et son
ministre touchant cette majestueuse sommation. Je ne m’en alarmai pas. Il y
avait toujours entre Louis et Richelieu quelques petites querelles, et même des
bouderies, sans que cela entamât le moindre leur profonde entente.
Je demandai alors à Charpentier de quérir du lieutenant des
mousquetaires du cardinal qui veillaient sur les secrétissime dossiers qu’on
emballait de bien vouloir me prêter un des siens pour me guider jusqu’au
château de La Sauzaie. Ce qu’il fit incontinent en me baillant un mousquetaire
du nom de Lameunière, qui me servit fort obligeamment, mais sans mot dire.
Au contraire des mousquetaires du roi, qui étaient tous
nobles, les mousquetaires du cardinal ne l’étaient pas tous, bien loin de là.
Et au lieu d’être piaffards et paonnants comme les mousquetaires royaux, on les
avait formés au silence et à la modestie, tant est que tout déprisés qu’ils
fussent par les royaux pour la raison qu’ils n’étaient pas tous gentilshommes,
ils leur inspiraient, cependant, un certain respect du seul fait de leur
taciturnité. De reste, de mousquetaire à mousquetaire – qu’ils fussent au
roi ou au cardinal – on ne tirait jamais l’épée : tout duel était un
crime capital et entraînait, sans tant languir, la mort pour les deux parties.
Au château de La Sauzaie, je trouvai le cardinal plus
heureux et plus gai que je ne l’avais jamais vu. L’immobilité de la flotte
anglaise devant la baie de La Rochelle, sa crainte d’affronter les obstacles et
les défenses accumulées devant elle dans la baie, son incapacité à détruire
fut-ce une palissade, et son départ au bout de huit jours, lui avaient apporté
toutes les raisons possibles de se réjouir : l’échec anglais justifiait la
construction de la digue dont il avait été d’emblée, en dépit du scepticisme du
roi, le plus encharné partisan, avant d’en devenir le plus laborieux maître
d’œuvre.
Il est vrai que dès que la digue avait commencé à prendre
forme, le roi lui avait apporté, dans cette tâche immense, son inaltérable
soutien. Aimant le concret des choses, sachant tout faire de ses mains, et se
ramentevant qu’en ses jeunes années il avait construit un immense château de
sable et de pierre, Louis avait même mis la main à la pâte, et ne craignant ni
de se mouiller ni de se salir, il montrait aux soldats-ouvriers étonnés la
meilleure façon de placer les pierres l’une sur l’autre ou les unes à côté des
autres. Et d’après les ingénieurs du chantier – qui n’étaient pas, certes,
des courtisans – il ne se trompait jamais.
— Eh bien, d’Orbieu, me dit le cardinal avec une sorte
d’ébullition joyeuse que je ne lui avais jamais vue, que nous rapportez-vous de
Nantes ?
— Hélas, Monseigneur, La Luthumière ne veut ni vendre,
ni louer ses vaisseaux. En revanche, il s’est engagé à taper sur la queue de la
prochaine expédition anglaise, et à son advenue, et à son départir.
— Le fera-t-il ?
— Je le crois. Il a appétit à être avancé par le roi
dans l’ordre de la noblesse.
— Qu’est cela ? Il est plus enrichi que juif à
Naples. Et cela ne lui suffit pas ?
— À lui-même, cela suffit. Mais point à son épouse.
Elle est baronne, et elle aspire à devenir marquise.
— Les femmes, dit Richelieu, se citant lui-même, sont
de bien étranges animaux.
Pas plus étranges, m’apensai-je, qu’un certain petit évêque
de Luçon qui, jadis, caressa beaucoup les puissants à seule fin de devenir
cardinal.
— Je toucherai mot au roi de cette aspiration, reprit
Richelieu avec un sourire. Après tout : Sua cuique voluptas [65] . Pour moi, je trouve dans
l’échec de l’expédition anglaise une volupté rare : c’est un coup de masse
qui étourdit les ennemis du roi, y compris les ennemis intérieurs qui se
seraient réjouis de notre défaite, et s’attristent ce jour d’hui de notre
victoire. Songez, d’Orbieu, songez à la douleur de notre belle Cour, du diable
incarné [66] , des vertugadins
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