La Gloire Et Les Périls
comme ces encharnés sont, en fait, peu nombreux. J’en
aurai vite fait le tour : le maire Guiton, les douze échevins qui lui
assurent au corps de ville une maigre, mais fidèle majorité, et enfin, je les
cite en dernier, bien qu’ils ne soient les moindres, nos huit pasteurs.
— Cela fait, en effet, peu de monde, dis-je béant.
— Mais ils disposent du pouvoir absolu, dit Pandin des
Martes : les pasteurs, le pouvoir spirituel, le maire et ses douze
échevins, le pouvoir temporel.
— Que disent les pasteurs ?
— Ah, les pasteurs ! dit Ferrières. Ne savez-vous
pas qu’ils détiennent la vérité absolue sur tout ? Et au nom de cette
vérité absolue, ils affirment que Dieu, à la parfin, fera triompher leur cause,
puisqu’elle est juste. En outre, ayant reçu, comme nous tous par l’édit de
Nantes, la liberté du culte et la liberté de conscience, partout où ils peuvent
s’appuyer sur la force, nos pasteurs estiment que la tolérance n’est bonne que
pour eux, et ils chassent de leur ville les prêtres catholiques, comme ils ont
fait à Pau, et comme ils ont fait à La Rochelle dès le début du siège. Monsieur
le Comte, ajouta Ferrières, je confesse moi-même la religion réformée, mais si
l’on veut juger de la chose en équité, force sera de constater que nos bons
Rochelais ont violé, en premier et en toute bonne conscience, l’édit de Nantes
qui les protège.
— Cependant, dis-je, je doute que la prédication des
pasteurs puisse longtemps convaincre et contraindre des gens qui crèvent de
verte faim, et se rassemblent devant l’hôtel de ville, comme nous savons, pour
crier « Paix ou Pain ! » Est-ce vrai, Messieurs ?
— C’est vrai, dit Pandin des Martes, mais que peuvent
ces pauvres gens, titubants et squelettiques, contre les soldats de Guiton qui
les repoussent, les piques basses et, en un clin d’œil, les dispersent ?
— Les soldats de Guiton ? dis-je. Est-il donc
aussi le chef de l’armée ?
— Après qu’il eut été élu maire, il s’est proclamé tel,
poursuivit Pandin des Martes, voulant être le seul maître à bord après Dieu. Et
maintenant qu’il s’est fait dictateur, il viole, en toute impunité, les
institutions de la Cité.
Sachant le respect que les huguenots professent pour les
institutions qu’ils se sont données en les villes où ils sont les maîtres,
j’entendis bien que c’était là, contre Guiton, une accusation gravissime, mais
je n’eus pas le temps de la faire préciser, car, à cet instant, Luc pénétra
dans le petit salon à pas précautionneux, quit de moi, œil à œil, la permission
de parler, et l’ayant obtenue, dit d’une voix que le respect ou la peur
étouffait – je dis la peur, car il se gardait comme peste de jeter un
regard à mes huguenots :
— Monsieur le Comte, Madame de Bazimont vous demande
s’il est de votre bon plaisir de dîner avec ces Messieurs ?
— Messieurs, dis-je en me levant, voulez-vous que nous
passions à table ?
Tandis que mes deux juges se levaient avec une lenteur
majestueuse, et sans mot piper, j’observai qu’ils avaient très peu touché au
vin et pas du tout aux friandises. Et quelle heureuse surprise ne fut pas la
mienne en les précédant dans la salle, où Madame de Bazimont avait fait dresser
la table, d’y trouver le chanoine Fogacer ! Toutefois, à la vue de sa
robe, mes deux juges perceptiblement frémirent, et parurent prêts à
s’escargoter dans leurs coquilles huguenotes pour demeurer à jamais bouche cousue…
— Messieurs, dit Fogacer avec son lent et sinueux
sourire, et ses sourcils se relevant sur les tempes, ne vous effrayez pas, de
grâce, de ma robe. Je me nomme Fogacer et suis bien, en effet, chanoine, mais
je suis aussi docteur médecin, et Sa Majesté ne m’a pas dépêché à vous afin que
je soigne vos âmes, lesquelles, à mon sentiment, n’ont aucunement besoin de mes
soins, mais de vos corporelles enveloppes, et des incommodités dont elles ont
pu pâtir du fait des restrictions que le siège vous a imposées.
Ayant dit, il les salua. Un peu étonnés tout du même qu’un
« papiste » s’exprimât de la sorte, mes deux juges ne laissèrent pas
de s’apazimer, tant est qu’à leur tour, cependant sans bouche déclore, ils
rendirent à Fogacer un salut des plus courtois. La paix s’étant donc, à notre
échelle, établie entre huguenots et papistes, je tâchai de placer mon monde à
table selon les affinités. Je
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