La Gloire Et Les Périls
diaboliques !
Buckingham une deuxième fois vaincu ! N’y a-t-il pas là matière à faire
sourire les anges ?…
Cependant, Richelieu ne laissa pas d’être lui-même surpris
d’une exubérance chez lui si inhabituelle. Il se reprit, et s’asseyant, me dit
du ton rapide et expéditif dont il donnait ses instructions :
— Monsieur d’Orbieu, j’ai une autre mission à confier à
vos soins. Voici ce qu’il en est. Hier, deux juges du Présidial de La Rochelle
se sont échappés hors les murs de leur ville. Ils ont atteint sans encombre
notre Fort de Beaulieu, se sont fait connaître, et là, ils ont fait leur
soumission au roi. À’steure, ils sont chez moi. Ce sont gens de quelque conséquence.
J’aimerais que vous les emmeniez au château de Brézolles où j’ai ouï dire que
vous êtes quasi souverain… Et là, s’il se peut, offrez-leur bonne chère et bon
gîte. Bref, traitez-les au mieux. Gardez-vous, cependant, de les interroger
trop abruptement. Étant juges, le renversement des rôles pourrait les offenser.
Bornez-vous à ouïr, d’une oreille amicale, les confidences qu’ils ne failliront
pas de vous faire. D’après mes rediseurs , le torchon brûle entre le
corps de ville de La Rochelle et le Présidial, et j’aimerais là-dessus en
savoir davantage.
Incontinent, Richelieu me donna mon congé, me laissant
arranger avec ses secrétaires le départir des deux juges, lesquels durent se
sentir à la fois fort étonnés et fort honorés de se rendre à Brézolles dans une
carrosse cardinalice, tandis que Nicolas et moi-même trottions devant eux pour
leur ouvrir le chemin. Je ne manquai de me demander, in petto, comment
et par qui le cardinal avait « ouï dire » que j’étais « quasi
souverain à Brézolles ». Preuve, à mon sentiment, qu’il n’espionnait pas
que les ennemis du roi. Sur les plus fidèles sujets de Sa Majesté, Richelieu
gardait aussi un œil vigilant, au cas où leur dévouement viendrait à vaciller…
Sur le chemin, je décidai de dépêcher Nicolas à Madame de
Bazimont, aux fins de la prévenir que j’amenais à dîner deux convives auxquels
le cardinal avait prêté sa carrosse, espérant qu’il serait possible aussi de
les loger au château de Brézolles pendant quelque temps, à tout le moins
jusqu’à ce que le roi ait décidé de ce qu’on ferait d’eux.
Je ne saurais dire ce que Nicolas conta au capitaine Hörner,
mais à notre advenue, les grilles de Brézolles étaient à deux battants
ouvertes, et les Suisses formaient une haie pour honorer, sinon les invités, à
tout le moins la carrosse cardinalice. Je n’aurais pas voulu tant d’honneurs
pour accueillir mes prisonniers, mais je noulus tabuster Nicolas à ce sujet,
estimant que si je devais tirer de mes hôtes des renseignements utiles,
gentillesse valait mieux que rudesse.
À notre advenue, Madame de Bazimont se tenait en haut du
perron, coiffée et attifurée à merveille, pour accueillir nos hôtes et, à ma
suggestion, elle les pria de s’aiser dans le petit salon, tandis que, la
prenant par le bras (familiarité qui la combla d’aise), je la tirai à part, et
lui demandai s’il était possible, comme me l’avait demandé le cardinal, de les
loger quelques jours. Elle hésita quelque peu de prime, et tout en me noyant
quasiment sous les flots de ses politesses, elle ne laissa pas de quérir de moi
qui étaient ces messieurs.
— Ce sont d’illustres juges du Présidial de La
Rochelle.
— Qu’est cela ? dit-elle comme effrayée, des
huguenots ! Des huguenots céans ! Que va-t-on dire de nous à
Saint-Jean-des-Sables ?
— Madame, dis-je avec gravité, qui vous reprochera
d’avoir obéi à Sa Majesté ? Et qui peut se vanter, parmi les bonnes gens
de Saint-Jean-des-Sables, d’être meilleur catholique que Monsieur le
Cardinal ?
— Personne, assurément, Monsieur le Comte, dit Madame
de Bazimont avec quelque confusion. De reste, vous êtes le maître de céans, et
pour vous le dire à la franche marguerite, je souhaite du bon du cœur que vous
le soyez toujours…
À ce souhait, qui était aussi une question, je ne répondis,
il va sans dire, ni mot ni miette.
— Madame, répétai-je, sachant qu’elle ne se rassasiait
jamais d’être « madamée », en attendant que le domestique prépare les
chambres de nos hôtes, voudriez-vous, avant même que vous fassiez servir le
dîner, faire apporter par Luc du vin de Loire et quelques friandises de gueule
à
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