La Gloire Et Les Périls
son
haut-de-chausses une courte pipe, et la bourrant, me demanda en quoi j’avais
affaire à lui. À son ton vous eussiez cru qu’un roi faisait à un ambassadeur la
grâce de le recevoir.
Pour dire le vrai, La Luthumière n’était pas déplaisant à
voir, ayant un visage carré, tanné par le soleil, la membrature elle aussi
carrée, le nez gros, un menton en proue, et des yeux du plus beau bleu. Et dès
lors que l’entretien fut engagé, ce fut comme s’il retirait sa cuirasse, il ne
se montra ni discourtois ni inamical, mais prompt et péremptoire en ses réponses.
— Baron, dis-je, tâchant de me mettre à son diapason,
la mission que le roi m’a confiée à votre endroit est simple et je vous la vais
conter en peu de mots : il voudrait vous acheter les quatre vaisseaux que
vous avez pris aux Anglais.
— Nenni, dit aussitôt La Luthumière, ce n’est point
possible, je ne le veux.
Sentant toutefois que la réponse était un peu rude dans sa
brièveté, il entreprit de l’étoffer quelque peu.
— Si Sa Majesté, dont je suis l’humble serviteur (point
si humble, m’apensai-je), était à court de grands vaisseaux, la chose pourrait
s’envisager. Mais l’Anglais n’en a plus que sept et Sa Majesté en a
vingt-quatre. Sa Majesté n’a donc pas besoin des miens.
— Pourriez-vous, du moins, les lui louer jusqu’à la fin
du siège ?
— Les lui louer ! Et me mettre sous les ordres
d’un amiral ? Nenni !
— Je suis bien assuré que le commandeur de Valençay
aurait pour vous toute la considération que vous méritez.
— Ce n’est pas là le point, dit Monsieur de La
Luthumière parlant du même ton décisif, la flotte royale et les corsaires n’ont
pas la même façon de se battre. La flotte se déploie, se met en ordre de
bataille. La flotte ennemie en fait autant. Et les deux flottes s’affrontent.
Ce n’est pas là méthode de corsaire !
— Et peux-je vous demander, Baron, quelle est cette
méthode ?
— Comte, un corsaire, comme son nom l’indique, est un
homme qui court. Il peut courre seul ou en meute, comme c’est mon cas. Mais
enfin, il court, et c’est toujours par ruse et stratagème qu’il surprend la
bête que la tempête a isolée du troupeau. Quand la bête est trop grosse, le
corsaire mord, fuit, revient, mord derechef, en un mot il harcèle sa proie,
jusqu’à ce qu’elle hisse le drapeau blanc, ou choisisse de couler. C’est là,
Comte, un métier aventureux, et le seul que nous sachions faire, le seul aussi
que nous aimons. Mais devenir une unité dans une flotte, ne bouger que sur
ordre, et attendre l’ennemi au lieu de lui courre sus, ce n’est pas notre façon
de faire.
Je fus tout étonné que Monsieur de La Luthumière, que je
croyais plus habile à agir qu’à parler, devînt tout soudain si éloquent. Mais
il est vrai que tout homme, quand il s’agit du métier qu’il aime et qui
l’augmente fort en honneur et en pécunes, n’a pas, quand il en parle, à
chercher ses mots.
— Baron, dis-je, j’entends bien vos raisons, et j’en
ferai part au roi. Mais toutefois, s’agissant de deux refus, l’un, de vendre
vos vaisseaux, l’autre, de les louer, ne pourriez-vous pas les adoucir par
quelque concession qui témoignera que vous êtes un fidèle sujet du roi et
soucieux de le servir ?
— J’ai bien servi le roi dans le dernier affrontement,
et je n’en ai pas fait le semblant, dit La Luthumière avec piaffe. Dois-je le
ramentevoir ? J’ai coulé trois vaisseaux aux Anglais et j’en ai capturé
quatre. Et si les Anglais reviennent pour secourir La Rochelle – comme
sans doute ils reviendront, étant vaillants et tenaces – je ferai mieux
encore. Je leur taperai sur la queue, et à leur advenue, et derechef à leur
départir. Et de la sorte, je servirai le roi, aussi bien que la digue, les
palissades, et les batteries côtières et tous les amiraux de France…
La concession était mineure, mais je m’en consolai en
pensant que je pourrais la présenter au cardinal comme un engagement ferme de
La Luthumière d’être sur le chemin de la future expédition anglaise une force
assez puissante pour y « faire le dégât », comme disent nos marins.
De reste, force forcée m’est de dire ici que La Luthumière m’avait tout à plein
persuadé du bien-fondé de sa décision, et qu’il valait mieux ne pas attacher ce
dogue plein de feu, mais le laisser courre librement et se battre à sa façon.
Je pris enfin
Weitere Kostenlose Bücher