La Gloire Et Les Périls
traits tirés, et n’en fus guère étonné, connaissant l’intempérie dont il
pâtissait et dont il ne pourrait jamais guérir : son immense labeur
quotidien.
Je fis au roi et à Richelieu un récit minutieux de mes
conversations avec les deux juges, sans rien omettre, et sans rien ajouter, pas
même un commentaire favorable sur leurs personnes. Mais il est vrai que ce
commentaire n’avait pas besoin d’être dit : il découlait de mon récit
même.
— Je vous remercie, Siorac, dit Louis, quelque mission
qu’on vous donne, vous la remplissez à merveille. Monsieur le Cardinal,
qu’êtes-vous apensé ?
— Que Monsieur d’Orbieu confirme, d’une manière
générale et complète sur certains points, les rapports de mes rediseurs à La Rochelle. Il est devenu évident, Sire, que Guiton a établi, par degrés
successifs, à La Rochelle un pouvoir absolu. Il s’est arrogé le pouvoir
militaire, et il est le seul, à La Rochelle, à commander aux armées. Il a
arraché au Présidial le pouvoir judiciaire, et il l’a remis à un Conseil de
guerre composé de ses fidèles et dont il a pris la présidence. Dans le
protocole qui régit les conseils du corps de ville, il a supprimé l’article qui
voulait que l’ancien maire – en l’espèce, Jean Godefroy, personnage très
respecté – fut le premier, après lui, à opiner, tant est que Jean
Godefroy, justement indigné, décida de ne plus paraître, d’ores en avant, dans
les conseils de la ville.
« Guiton est allé plus loin encore : il a fondé
une Commission spéciale, habilitée à poursuivre, à juger et à condamner
toute personne qui médirait du corps de ville ou du maire. Enfin, conscient de
la tyrannie qu’il exerce, et craignant d’être assassiné, il s’est constitué une
garde prétorienne de hallebardiers qui le suit et le protège partout où il va.
Je dirai, pour conclure que ce pouvoir tyrannique repose, en tout, sur huit
pasteurs et douze échevins qui lui donnent dans le corps de ville une maigre
majorité. Jamais un aussi petit nombre de personnes, qui, elles, en toute
probabilité, mangent à leur suffisance, n’aura fait mourir toute une ville de
la faim, et plus inutilement.
— Monsieur le Cardinal, dit Louis, direz-vous que la
population de La Rochelle, dans les conditions effroyables qui sont
présentement les siennes, pourra tenir plus longtemps encore ?
— Sire, elle tiendra de force forcée tant que la
poignée de personnes qui la subjugue caresse l’espoir que la nouvelle
expédition anglaise, promise par Buckingham et le roi Charles, advienne enfin
et délivre leur ville…
CHAPITRE XII
Si bien je me ramentois, c’est vers la fin août que je reçus
de Londres (et de qui, sinon de My Lady Markby ?) une lettre
périlleusement franche, laquelle cependant n’était point signée ni non plus
écrite de sa main, mais dont je reconnus aussitôt l’auteur parce qu’il, ou
plutôt elle, m’appelait « ma chère française alouette » et aussi
parce que la missive avait été expédiée de Londres par bateau de charge à mes
frères Siorac à Nantes. Ceux-ci l’ouvrant, puisqu’elle était adressée à eux,
mais, jugeant à cette appellation volatile qu’elle ne pouvait provenir que de
mon excentrique amie anglaise, me la firent aussitôt parvenir. De cette lettre,
lecteur, voici la teneur intégrale. Je me voudrais mal de mort de retrancher ou
d’ajouter à ce pamphlet véhément.
« Ma chère
française alouette,
« Il faut à la parfin que
j’épanche ma bile et devant qui, sinon devant vous, tant je suis hors de moi du
train dont vont les choses céans. Tout s’y fait tout à plein hors de sens et
dans la folie la plus pure. Pis encore : le pauvre Carolus [67] n’y voit rien, tant il est aveugle,
et n’y peut rien, tant il est faible. Il est vrai qu’il a bon cœur, mais quelle
force a la bonté quand elle n’est accompagnée ni d’esprit ni de volonté ?
Savez-vous ce qu’un professeur d’Oxford a dit de lui : “Il a tout juste
assez d’esprit pour être boutiquier et demander à la pratique : ‘Qu’est-ce
qu’il vous faut ?’”
« Mais, bien sûr, le pire de
la chose c’est que Carolus a entièrement abandonné son trône, son sceptre, son
royaume et son honneur à Steenie [68] , lequel fait céans
absolument tout ce qu’il veut, encore que tout ce qu’il veut ou tout ce qu’il
fait, aille invariablement au rebours de l’intérêt du royaume. Peux-je
Weitere Kostenlose Bücher