La Gloire Et Les Périls
vous
ramentevoir, ma chère alouette, que Steenie est le suave surnom que notre
pauvre Carolus, en toute faiblesse et tendresse, a donné à son favori dont je
ne veux même pas prononcer le nom, tant ces trois syllabes me soulèvent le
cœur…
« Si vous trouvez que ce
propos sent l’outrance, oyez ce que je lui reproche. Si Steenie avait agi pour
l’honneur de son roi et le bien de ce royaume, je n’eusse jamais partagé la
haine inexpiable que lui vouent mes compatriotes, dans leur immense majorité.
Mais s’adorant lui-même comme une sorte de dieu, à qui rien ne doit résister,
ni les femmes ni les royaumes, il n’a jamais agi que par foucade, caprice et
goujaterie.
« Il s’est si mal conduit en
Espagne – s’introduisant nuitamment dans le jardin clos de l’infante –
qu’il a fait échouer par cette grosserie le projet de mariage de ladite Infante
avec Carolus. Dès lors, rejeté par Madrid, il devint anti-espagnol et pour se
revancher d’avoir été éconduit, il organisa, mais sans la commander, cette insensée
expédition contre Cadix qui se solda par la perte de trente navires anglais et
la mort de sept mille soldats… Pendant le temps de ce désastre, Steenie, adoré
par celles que vous appelez en votre douce France les vertugadins diaboliques,
coulait des jours dorés en Paris, où il était venu afin de quérir la main de la
princesse Henriette-Marie pour le prince de Galles.
« Il l’obtint, ma chère
française alouette, mais vous connaissez la suite : le jardin d’Amiens, le
baiser volé, l’interdiction de séjourner d’ores en avant en France, la conquête
de l’île de Ré, la reconquête par Toiras et Schomberg, et le réembarquement
désastreux au cours duquel Buckingham perdit la moitié de ses troupes.
« Mais comme si ces pertes
n’étaient pas encore suffisantes, il convainquit Charles I er de
voler au secours de La Rochelle mutinée et organisa en juin, comme bien vous
savez, une deuxième expédition pour envitailler la ville assiégée :
nouvelle aventure qui derechef échoua.
« Cadix ! L’île de
Ré ! La Rochelle ! Après ces trois retentissants désastres – la
honte de l’Angleterre, la ruine de ses finances et, qui pis est, la perte de
milliers de ses fils – croyez-vous que notre Steenie ait renoncé à sa
folle politique ? La pécune lui coûtait si peu, lui à qui Carolus –
pour le consoler de la perte de l’île de Ré – avait offert un bracelet de
diamants ! Moins encore lui chalaient les milliers de vies anglaises
perdues en ces stupides équipées. Pis même ! Il convainquit Carolus de
tenter une deuxième expédition de secours pour La Rochelle, en jouant tant sur
sa bonté de cœur que sur son ignorance des faits, tant est que le pauvre roi,
lorsque l’expédition royale revint penaude à Portsmouth sans avoir rien tenté,
s’écria : “Quel sujet ont eu mes gens de se retirer et d’abandonner cette
pauvre ville ? Mes vaisseaux sont-ils faits pour faire peur et non pour
combattre en les hasardant ?” Pauvre roi ignorant de tout ! Qui parmi
les capitaines de sa flotte, unanimement hostiles à ce dessein, eût pu même
approcher Sa Majesté pour lui dire que la baie de La Rochelle était une nasse
où l’on ne pouvait “se hasarder” sans périr tout à fait ?
« Voilà donc notre Steenie
de nouveau à l’œuvre à Portsmouth, organisant une troisième expédition pour
libérer La Rochelle, et confronté à d’innombrables difficultés qui, comme les
têtes de l’Hydre de Lerne, renaissent dès qu’on les a coupées. La raison en est
la haine, comme j’ai dit inexpiable, que tout un peuple nourrit à l’encontre du
favori.
« À Portsmouth, quoi qu’il
fasse, il se heurte au mauvais vouloir, à la paresse, à la lenteur, ou même à
la désobéissance ouverte ou sournoise.
« Les malades de la deuxième
expédition encombrent encore les bateaux : que faire ? où les
mettre ? qui s’en occupe ? Assurément pas les chirurgiens de la
marine royale, lesquels ne bougent plus des tavernes du port, buvant bière sur
bière.
« L’équipage du Non-Pareil se mutine. On réprime durement cette mutinerie, mais la répression n’a d’autre
résultat que de multiplier les désertions. Comme on finit par manquer de
canonniers, on “presse [69] ” de jeunes hommes à Londres et on
les achemine à Portsmouth, mais, en chemin, mal surveillés par des soldats
volontairement négligents, ils
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