La Gloire Et Les Périls
me rassérénez, mais peux-je,
néanmoins, vous poser question sans craindre d’être rebuffée, comme l’est dans
les occasions le pauvre Nicolas, ou vous-même, quand vous vous adressez au
cardinal ?
— Belle lectrice, je ne rebuffe jamais les dames. J’ai
avec elles tant de patience et de bon vouloir qu’elles peuvent même aller
jusqu’à l’impertinence sans que je prenne la mouche.
— Monsieur, bien que votre mansuétude me paraisse
relever davantage de la tendre ironie que de la charité chrétienne, néanmoins
je vous remercie. Voici donc ma question. Si bien je me ramentois vos récits
dans le livre précédent, la première expédition anglaise, celle de l’île de Ré,
ce fut Buckingham qui la commanda. Elle échoua en novembre 1627. La deuxième
expédition anglaise, commandée par Lord Denbigh – amiral tout à plein
insuffisant –, arriva le quinze mai 1628 devant La Rochelle et repartit le
vingt mai sans avoir rien tenté. Et la troisième expédition anglaise, forte de
cent cinquante voiles, commandée par Lord Lindsey, « chef très valeureux
et très expérimenté », elle aussi, échoua. Comment expliquez-vous ce
nouvel échec ?
— Avec votre permission, Madame, voyons de prime les
faits. Nous verrons ensuite les gloses :
« Après vingt-sept jours de navigation éprouvante, la
flotte anglaise, le trente septembre, se rangea en croissant entre la pointe de
Chef de Baie et la pointe de Coureille face à la flotte française. Le premier
octobre au matin, elle approcha des nôtres et échangea avec eux des canonnades
sans grand dommage de part et d’autre. L’après-midi, le vent faiblissant, et
les manœuvres devenant de ce fait difficiles, elle se retira et alla mouiller
hors de portée de nos canons. Le trois octobre, Lindsey, entendant qu’il ne
pouvait lutter avec efficacité contre la flotte française sans détruire les batteries
côtières des pointes de la baie, décida d’envoyer deux grands vaisseaux les
bombarder, l’un à Chef de Baie, l’autre à Coureille. Et c’est ici que les
choses commencèrent à se gâter. Lord Lindsey encontra d’insurmontables
difficultés à convaincre les capitaines des vaisseaux concernés, tant leur
résistance était têtue et véhémente. Pourquoi, disaient-ils, devraient-ils
courir tous les risques en s’approchant des côtes, tandis que le reste de
l’escadre demeurait hors de portée des boulets français ? Devant une
mauvaise volonté qui ressemblait fort à une mutinerie, Lindsey attaqua lui-même
à la tête de quelques bâtiments, mais l’affaire ne tourna pas à son avantage.
Plusieurs bateaux anglais furent atteints par nos batteries et l’un fut
désemparé. Celui-là ne devrait jamais revoir les côtes de l’Angleterre.
« D’ores en avant, quels que fussent les ordres que
donna Lindsey, ils ne furent pas obéis. Il eut beau menacer de mettre aux fers,
et même de mettre à mort les capitaines récalcitrants, ceux-ci ne cédèrent pas,
étant soutenus unanimement par leurs équipages. Et Lindsey entendit bien à la
fin ce qu’il en était. Exécuter les capitaines serait tourner la désobéissance
en mutinerie générale et ouverte. Lindsey négocia alors une trêve de quinze
jours avec les armées françaises, sans qu’il voulût encore admettre que la
troisième expédition anglaise avait échoué.
— Monsieur, ce récit m’étonne. Je m’étais apensée que
les marins anglais seraient comme Lindsey, « valeureux et
expérimentés ».
— Madame, ils l’étaient, mais ils l’étaient à bon
escient. Et comment pouvaient-ils prendre cette expédition à cœur alors que
tant des leurs avaient été tués ou noyés sans aucun profit pour le roi et leur
pays à Cadix, dans l’île de Ré et au retour de la deuxième expédition ? Et
quel était l’auteur de ces désastres, sinon le mauvais génie du roi, My Lord
Duke of Buckingham ? Ils le haïssaient vivant. Ils le haïrent mort, s’il
se peut, davantage. Ils étaient persuadés que, « s’il y avait un enfer
et un diable dedans, le duc était avec lui ». Le poignard de
Felton – un héros assurément – avait eu raison de lui. Or voici que
(inacceptable scandale !) tout mort qu’il fût, le duc continuait à peser
sur leur destinée ! Cette expédition, c’était la sienne. Ce n’était pas
Lindsey qui la commandait, mais son odieux fantôme. C’était lui qui poussait
tant d’Anglais à la mort dans un assaut absurde
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