La Gloire Et Les Périls
estimez-vous que la
disparition de Buckingham va sonner le glas de l’expédition anglaise ?
Richelieu fut si étonné que j’osasse lui poser question
qu’il demeura un moment silencieux. Silence qui me vergogna tout autant que
s’il m’avait rebuffé. Et je me sentis dans l’instant fort désagréablement
ravalé au rang de Nicolas, quand je le tançais pour son indiscrétion.
— C’est là, dit Richelieu, une question que ne laissera
pas de me poser Sa Majesté. Et à mon sentiment, poursuivit-il, la réponse est
non. Charles, par une sorte de fidélité posthume à Bouquingan, ne voudra pas
renoncer à cette expédition : elle aura lieu, bien que plus personne en
Angleterre ne croie à son succès.
Il laissa alors tomber un silence, après lequel il
reprit :
— Monsieur d’Orbieu, comment prononcez-vous Bouquingan
en anglais ?
— Buckingham , Monsieur le Cardinal.
— Dieu bon ! dit le cardinal, ces Anglais ont une
langue imprononçable ! Et par-dessus le marché, une politique
incompréhensible. Du moins elle l’était du temps de Bouquingan. Si l’on doit
porter un jugement sur lui, dit-il au bout d’un moment, on dira que c’était un
homme de peu de noblesse de race, mais de moindre noblesse encore d’esprit,
sans vertu et sans étude, mal né et plus mal nourri. Son père avait eu l’esprit
égaré. Son frère aîné était si fol qu’il le fallut interner. Quant à lui, il
était entre le bon sens et la folie, plein d’extravagance, furieux et sans
bornes dans ses passions…
Là-dessus, le cardinal quit de moi de lui laisser la lettre
de Lady Markby pour ce qu’il la voulait montrer au roi, me remercia
courtoisement de mes services et me donna congé. Je le quittai, remontai sur
mon Accla, et tâchant de fixer dans mes mérangeoises la féroce oraison funèbre
que Richelieu venait de prononcer sur Buckingham, je me la répétai continûment
sur le chemin de Brézolles, afin d’être certain de la pouvoir jeter en son
entièreté sur le papier une fois retiré en mon logis.
Quand le siège fut fini et que je fus de retour en Paris
retrouver mon père, je lui montrai le précieux papier et quis de lui ce qu’il
en était apensé.
— On ne peut pas dire, dit mon père avec un sourire,
que le jugement du cardinal sur Bouquingan soit des plus évangéliques… Et à mon
goût Son Éminence insiste un peu trop sur le peu de noblesse de race de
Buckingham : insistance d’ailleurs assez étonnante, puisque Richelieu
lui-même n’était pas issu de la haute noblesse. Il y avait des bourgeois dans
son ascendance, comme, de reste, dans la nôtre. Et je ne sache pas qu’il y ait
là matière à dédain et déprisement.
Le grand grief qu’on puisse articuler contre Buckingham,
vous l’avez déjà énoncé. La guerre qu’il fit à l’Espagne et ensuite à la France
ne fut le résultat que de piques mesquines et personnelles. Pour revenger son orgueil
blessé il fit tuer beaucoup d’Espagnols, et beaucoup de Français, et beaucoup
des siens. Et cela sans profit pour personne, et sûrement pas pour
l’Angleterre, pour qui son extravagance politique ne fut que ruine et malheur.
Elle fut funeste aussi à ses alliés : si La Rochelle n’avait pas cru au
mirage du secours anglais, elle aurait fait beaucoup plus vite sa soumission et
n’aurait pas perdu par une atroce famine les deux tiers de ses habitants. Il se
peut que la mémoire de Buckingham traverse heureusement les siècles, mais ce ne
sera assurément pas comme général, amiral ou ministre, mais comme une sorte de
héros romanesque. En voulez-vous une preuve qui ne trompe pas ? Quand la
nouvelle de son assassinat parvint à Paris, les vertugadins diaboliques,
bouleversés, versèrent d’abondantes larmes et la duchesse de Chevreuse
défaillit et pâma si fort qu’on eut toutes les peines du monde à la ramener à
la vie. Par malheur elle survécut…
*
* *
— À moi, Monsieur, deux mots, de grâce !
— Belle lectrice, je suis à vos ordres, tout entier
dévoué. Je vous ois.
— Monsieur, il me semble sentir dans la dernière
remarque de Monsieur votre père une sorte de déprisement du gentil sesso.
— Nenni, Madame, le déprisement s’adresse aux
vertugadins diaboliques, race traîtreuse et assassinante, mais pas le
moindrement du monde à l’ensemble de votre aimable sexe, lequel est au rebours
fort honoré par les gentilshommes de ma famille.
— La grand merci, Monsieur. Vous
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