La Gloire Et Les Périls
bannie.
Dès que je me fus approché des balustres qui entouraient le
lit royal, Berlinghen me vint dire à l’oreille que Louis s’entretenait, comme
je voyais, avec Monsieur de Schomberg, mais qu’il me voulait voir dès qu’il en
aurait fini avec le maréchal. J’attendis donc, mon œil ne quittant pas le roi,
lequel, comme je m’en aperçus aussitôt, ne portait pas cet air d’ennui,
d’ombrage, de méfiance ou de muette irritation qu’il avait le plus souvent au
Louvre, mais paraissait, bien le rebours, alerte et rayonnant. J’en fus
content, mais point pour autant étonné. Et plaise au lecteur de me permettre de
lui en dire ma râtelée, le rôle que joua Louis pendant le siège de La Rochelle
ayant été de grande conséquence.
Nul à la Cour ne l’ignorait, Louis n’était jamais si heureux
que lorsqu’il se trouvait à la tête de ses armées. Non qu’il fut belliqueux et
aspirât à rober des provinces aux royaumes voisins, mais parce qu’il tenait que
son premier devoir était d’être, comme son père, un roi-soldat et de maintenir dans
son entièreté un royaume qu’Henri IV avait eu tant de mal et avait passé
tant d’années à reconquérir, au point de ne pouvoir entrer dans sa capitale
qu’après le plus long et le plus terrible des sièges.
Sous la régence, écarté du pouvoir par une mère désaimante
qui aspirait à régner seule, Louis avait appris, dès ses enfances, et de soi,
avec une émerveillable application, les disciplines et les secrets du métier
des armes dont, à dix-sept ans, il savait tout, sans avoir encore combattu.
Mais, après qu’il eut pris le pouvoir, l’occasion, certes, en était venue vite,
comme bien on sait, les ennemis se levant sans répit et de tous côtés contre
son sceptre, les armes à la main, à commencer par sa propre mère.
Je me suis souvent apensé que s’il n’avait été roi, Louis
eût pu faire un maître de camp excellentissime, tant il veillait à tout et dans
tous les détails : aux vivres, à l’état des canons et des mousquets, aux
réserves de poudre, au nombre de boulets disponibles, à l’avancement ou au
retard des redoutes qu’on bâtissait, et je cite à la fin ce souci, bien qu’il
ne fût pas le moindre, aux pécunes qu’il fallait bien trouver pour payer les
hommes.
« La solde opinait Richelieu en sa belle rhétorique,
est l’âme du soldat et l’entretien de son courage. » Ce que j’ai ouï le
roi exprimer plus prosaïquement en ces termes : « Si on ne les paye
pas, ils décampent. »
Fort de cette expérience, Louis ordonna qu’en particulier
pour ce siège, qui était d’une importance telle et si grande pour l’avenir du
royaume, on ne lésinât pas sur leur paie : dix sols par jour pour le
soldat, et s’il était volontaire pour travailler aux ouvrages (et plus tard à
la digue) vingt sols de plus. Un pactole pour ces pauvres gens !
Quant au versement des fonds, Louis prit deux ordonnances tout
à plein remarquables. Ils ne seraient plus versés aux capitaines, afin qu’ils
les distribuassent ensuite aux hommes (pratique qui donnait lieu aux abus qu’on
devine), mais directement aux hommes par des Intendants choisis pour leur
probité. Méthode par laquelle Louis supprima la groigne et le déprisement des
soldats pour leurs officiers – sentiments qui nuisaient au respect qu’ils
leur devaient, et par conséquent à la discipline.
Louis, comme son père, connaissait bien ses hommes. Il
reconnaissait ses vieux soldats, et les appelait par leur nom. Et surtout, il
n’ignorait rien de leurs humeurs. Il savait, par exemple, qu’en campagne ils
devenaient tout soudain fort prodigues et vidaient leurs bourses pour acheter
des riens, la précarité de leur existence les poussant à jouir de l’instant
présent. Pour éviter ces gaspillages qui leur étaient si funestes, Louis prit
une autre ordonnance, tout aussi pertinente que la première : afin
d’éviter que les hommes se retrouvent trop vite dépourvus, Louis ordonna qu’ils
fussent payés non pas mensuellement, comme les officiers, mais tous les huit
jours ; ce qui eut pour effet de réduire leurs dépenses.
Louis se souciait aussi de leurs vêtures que la vie de camp
usait vite. Tant pour le prestige de son armée, le moral des troupes et leur
bonne santé, il ne souffrit pas que ses soldats allassent en loques, comme les
pauvres soldats anglais à la fin du siège de Saint-Martin-de-Ré.
Louis imagina un nouveau
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