La Gloire Et Les Périls
moyen d’y pourvoir. Il ordonna aux
dix principales villes de France d’habiller, chacune, un de ses dix régiments.
Par souci d’épargne, il commanda que ces vêtures fussent, non de laine
raffinée, mais de bure grossière. Toutefois, par une délicatesse à la fois
touchante et naïve, il voulut, pour ne pas humilier ses soldats en les vêtant
comme des moines, que cette bure fut « teintée laine ».
Le cardinal, toujours suave, du moins en son parler, disait
que pour maintenir cette tant grande armée dans le devoir, il fallait
« une sévérité douce ». Mais Louis ne l’oyait pas de cette benoîte
oreille : était pendu tout homme qui, par trois fois, avait gravement
désobéi à son officier. Était voué pareillement à la corde quiconque robait,
pillait ou forçait filles.
Pour Louis et le cardinal, il allait sans dire que la
discipline des armées ne se pouvait préserver sans la discipline des âmes. Tout
soldat était tenu d’ouïr messe et d’aller à confesse. Le dimanche étant le jour
du Seigneur, Louis ne voulut pas qu’on l’endeuillât par des canonnades et des
mousquetades. Voyant quoi, les huguenots, ne voulant pas se montrer moins bons
chrétiens que nous, respectèrent eux aussi le repos dominical.
Ce jour sans grondements terrifiants de canons, ni perfides
sifflements de balles, et par conséquent sans blessé ni tué, fut pour nos
troupes et les Rochelais à la fois un petit répit et un grand soulagement,
lequel était attendu des deux côtés à partir du lundi. Comme les huguenots et
nous adorions le même Dieu, quoique de façon différente, plus d’un osa sans
doute se demander en son for pourquoi nous ne pouvions pas étendre cette trêve
aux autres jours de la semaine. Après tout, ces jours-là aussi appartenaient au
Seigneur.
Prude et pieux, Louis eût voulu empêcher ses soldats de
s’aller emmistoyer en des ribaudes vivant au camp en vilité publique. Mais là,
comme disait à mon grand-père, le baron de Mespech, l’un de ses
serviteurs : « C’était par trop brider la pauvre bête. » Et en
ce domaine du moins, la Nature, par mille détours, parla plus haut que les
ordonnances.
Tout occupé qu’il fût du salut des âmes, Louis n’oubliait
pas par autant la santé des corps. Les médecins, les chirurgiens et les
apothicaires – ceux-ci fort bien garnis en remèdes – étaient dans le
camp presque aussi nombreux que les prêtres et tout aussi actifs, le temps
étant alors si mauvais sur cette côte d’Aunis où abondaient les vents et les
orages.
De douze mille hommes, l’armée assiégeante passa peu à peu à
trente mille hommes. Jamais de mémoire d’homme on n’avait vu une aussi grande
armée, ni aucune qui fût si bien nourrie, équipée, disciplinée, payée. Mais il
y fallait dépenser chaque jour une quantité inouïe de pécunes et c’était bien
là où le bât blessait le plus cruellement le roi et Richelieu. J’ai déjà compté
qu’au début du siège, Richelieu avait emprunté un million deux cent mille
livres en gageant ses propres biens. Mais si forte que fut cette provision,
elle s’épuisa vite. On fit alors des levées, on engagea des parties du domaine
royal, on racla tout. Et vers le milieu du siège, Louis, à bout de ressources,
demanda aux évêques et archevêques de France une contribution de conséquence
pour poursuivre le siège. Mais que le lecteur me permette d’anticiper ici dans
mon récit. J’accompagnai Louis quand il se rendit le vingt-quatre mai 1628 à
Fontenay-le-Comte où les prélats se devaient rassembler pour en décider. Je me
ramentevrai jusqu’au terme de mes terrestres jours comment les choses se
passèrent entre les soutanes violettes et le roi. À vrai dire, fort mal :
il leur avait demandé trois millions de livres. L’assemblée ne lui en accorda
que deux…
Lecteur ! Qui n’a pas vu alors Louis en ses fureurs n’a
rien vu ! Et je n’en crus ni mes yeux, ni mes oreilles : je retrouvai
son père, en cette circonstance fameuse où il tança vertement le Parlement de
Paris qui rechignait à enregistrer l’édit de Nantes. C’était la même verve
abrupte et populaire, coulant en un flot de paroles véhémentes, où pas une
n’était mâchée, mais lancée toute crue à la face de ces grands dignitaires…
— Deux millions ! s’écria Louis, les yeux
étincelants. Vous avez dit deux millions ! J’en veux beaucoup davantage,
ou n’en veux point du tout ! Ce vous est
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