La Gloire Et Les Périls
M’amie, dois-je vous croire ?
— Vous le devez. J’avais tant prié pour encontrer enfin
un gentilhomme qui, à de certains signes, me ferait connaître qu’il serait
digne d’être le père de mon enfant. Hélas, j’ai tant prié, et en vain ! Et
juste comme je désespérais, vous avez franchi mes grilles, et vous êtes apparu
céans tel un saint Georges suivi de son bel écuyer. La lumière s’est faite
alors en moi. Mes prières, par miracle, étaient exaucées.
Je fus à la fois troublé et déquiété par ce récit, car bien
que ce ne fût, à mon sentiment, que le songe d’une femme à laquelle la
maternité avait cruellement failli, il me toucha fort pour la raison qu’une vie
inachevée et vide y laissait entendre sa plainte.
— Madame, dis-je le plus doucement que je pus, le
miracle, c’est à la fois le siège de La Rochelle et le besoin où j’étais de
trouver un logis. Je serais le dernier des imposteurs si j’allais admettre que
le Seigneur m’a donné l’ordre de me rendre auprès de vous.
— Mais j’entends bien ! dit Madame de Brézolles
nullement désarçonnée par cette remarque terre à terre. C’est qu’un ordre du
Très-Haut n’était pas nécessaire. Le Seigneur s’est contenté d’arranger les
circonstances de telle sorte que notre encontre devînt inévitable. Si vous êtes
croyant, vous devez bien admettre qu’il n’y a pas de hasard, et que pas un
passereau ne tombe d’un arbre que la Providence ne l’ait ainsi décrété.
— Il est vrai, dis-je, qu’on nous l’enseigne ainsi.
Mais à quels signes avez-vous reconnu que j’étais bien l’élu ?
— Oh, dit-elle, les signes furent certains et
indubitables ! Ramentez-vous, de grâce : dans mon ardeur à vous
connaître, je vous ai posé un milliasse de questions indiscrètes, fâcheuses et
messéantes et à toutes vous avez répondu sans jamais me rebuffer, avec une
patience angélique.
Mon Dieu, m’apensai-je, j’étais de prime un saint
Georges ! Me voici devenu un ange ! De quelles éclatantes ailes la
belle me revêt pour que je me livre à cette humble tâche de géniteur ! Ah
certes ! Je le conçois ! L’imagination de Madame de Brézolles n’est
si prompte à arranger les choses que pour ne pas souffrir, au mitan de son bonheur
et de ses espérances, les affres du péché qui s’attache à l’amour hors mariage.
Dans tous les cas, dès qu’elle eut estimé m’avoir éclairé
assez sur ses desseins, elle se remit, avec un indéfatigable zèle, à la tâche
qu’elle s’était prescrite, tant est que le reste de la nuit s’écoula à notre
commune satisfaction, sans babiller plus avant, ni dormir le moindre.
Le lendemain à potron-minet, je repris avec Nicolas le
chemin d’Aytré pour assister au lever du roi. J’étais pénétré de cette
délicieuse lassitude que nous donne la nature pour nous récompenser de la peine
que nous avons prise à perpétuer l’espèce. Je laissai flotter les rênes sur le
cou de mon Accla, laquelle, jugeant bien que j’étais moulu et ensommeillé, prit
sur elle-même de se mettre au pas pour faire ce chemin que nous avions parcouru
la veille au trot. Nicolas, clairvoyant, mais discret, me suivit sans piper
mot. Toutefois, je ne dormais point. J’étais plongé dans mes songes. Aimais-je
déjà Madame de Brézolles ? Et si je l’aimais, l’aimais-je, comme elle
disait, à « sa suffisance » ? Mais, par-dessus tout, j’étais la
proie d’un sentiment que je n’avais jamais jusque-là éprouvé. Depuis mes
adolescences, je n’avais vécu que des amours qui se voulaient infécondes et
celle-ci, qui ne voulait pas l’être, me donnait un émeuvement nouveau, fait à
la fois de surprise et d’une étrange joie.
*
* *
À Aytré, la Cour n’était plus tout à fait la Cour, pour la
raison que les dames ne s’y trouvaient pas, d’aucunes étant restées en Paris,
d’autres cantonnées à bonne distance du camp, mais ayant néanmoins la
permission de s’en approcher en carrosse pour admirer de loin les duels de
canonnades entre les royaux et la flotte anglaise quand celle-ci apparut dans
la baie pour secourir La Rochelle.
Quant aux courtisans, ils avaient eu à cœur presque tous de
prendre les armes au côté de Louis, ce qui donnait au lever du roi l’aspect
d’une assemblée d’officiers où, de reste, il n’était permis que de parler du
service, toute requête d’ordre personnel étant pour l’instant
Weitere Kostenlose Bücher